Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/43

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Pendant toute la durée de cette classe, beaucoup plus fatigante que celle du matin pour le futur séminariste, les écoliers punis à cause de lui lui montrèrent le poing à plusieurs reprises. Dans tous les pays, civilisés ou non, cette démonstration passe pour un signe de menace. Pitou se tint donc sur ses gardes.

Notre héros ne s’était pas trompé : en sortant, ou plutôt dès qu’on fut sorti des dépendances de la maison collégiale, il fut signalé à Pitou, par les six écoliers mis en retenue, qu’il allait avoir à leur payer ces deux heures de détention arbitraire en frais, intérêts et capital.

Pitou comprit qu’il s’agissait d’un duel au pugilat. Quoiqu’il fût loin d’avoir étudié le sixième livre de l’Énéide, où le jeune Darès et le vieil Entelle se livrent à cet exercice aux grands applaudissements des Troyens fugitifs, il connaissait ce genre de récréation, qui n’était pas tout à fait étranger aux paysans de son village. Il déclara donc qu’il était prêt à entrer en lice contre celui de ses adversaires qui voudrait commencer, et à tenir tête successivement à ses six ennemis. Cette déclaration commença de mériter une assez grande considération au dernier venu.

Les conditions furent arrêtées comme les avait posées Pitou. Un cercle se fit autour de la lice, et les champions, après avoir mis bas, l’un sa veste, l’autre son habit, s’avancèrent l’un contre l’autre.

Nous avons parlé des mains de Pitou. Ces mains, qui n’étaient pas agréables à voir, étaient moins agréables à sentir. Pitou faisait voltiger au bout de chaque bras un poing gros comme une tête d’enfant, et, quoique la boxe n’eût point encore été introduite en France, et que, par conséquent, Pitou n’eût reçu aucun principe élémentaire de cet art, il parvint à appliquer sur l’œil de son premier adversaire un coup de poing si hermétiquement ajusté, que l’œil atteint s’entoura aussitôt d’un cercle de bistre aussi géométriquement dessiné que si le plus habile mathématicien en eût pris la mesure avec son compas.

Le second se présenta. Si Pitou avait contre lui la fatigue d’un second combat, son adversaire, de son côté, était visiblement moins fort que le premier antagoniste. Le combat fut donc moins long. Le poing formidable s’abattit sur le nez, et les deux narines déposèrent à l’instant même de la validité du coup en laissant échapper un double robinet de sang. Le troisième en fut quitte pour une dent cassée ; c’était le moins détérioré de tous. Les autres se déclarèrent satisfaits. Pitou fendit la foule, qui s’ouvrit devant lui avec le respect dû à un triomphateur, et se retira sain et sauf dans ses foyers ou plutôt dans ceux de sa tante.

Le lendemain, quand les trois écoliers arrivèrent, l’un avec son œil poché, l’autre avec son nez en compote, le troisième avec ses lèvres en-