Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/44

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flées, une enquête fut faite par l’abbé Fortier. Mais les collégiens ont aussi leur bon côté : pas un des estropiés ne fut indiscret, et ce fut par voie indirecte, c’est-à-dire par un témoin de la rixe entièrement étranger au collége, que l’abbé Fortier apprit le lendemain que c’était Pitou qui avait fait sur le visage de ses élèves le dégât qui la veille avait excité sa sollicitude. En effet, l’abbé Fortier répondait aux parents non-seulement du moral, mais encore du physique de ses écoliers. L’abbé Fortier avait reçu la triple plainte des trois familles. Il fallait une réparation. Pitou eut trois jours de retenue : un jour pour l’œil, un jour pour le nez, un jour pour la dent.

Ces trois jours de retenue suggérèrent à mademoiselle Angélique une ingénieuse idée. C’était de supprimer à Pitou son dîner chaque fois que l’abbé Fortier supprimerait sa sortie. Cette détermination devait nécessairement tourner au profit de l’éducation de Pitou, puisqu’il y regardait à deux fois avant de commettre des fautes qui entraîneraient une double punition.

Seulement, Pitou ne comprit jamais bien pourquoi il avait été appelé rapporteur, n’ayant point parlé, et comment il avait été puni pour avoir battu ceux qui l’avaient voulu battre ; mais si l’on comprenait tout dans le monde, ce serait perdre un des principaux charmes de la vie : celui du mystère et de l’imprévu.

Pitou fit ses trois jours de retenue, et, pendant ces trois jours de retenue, se contenta de déjeuner et de souper.

Se contenta n’est pas le mot, car Pitou n’était pas content le moins du monde ; mais notre langue est si pauvre, et l’Académie si sévère, qu’il faut bien se contenter de ce que nous avons.

Seulement, cette punition subie par Pitou sans qu’il dénonçât le moins du monde l’agression à laquelle il n’avait fait que répondre, lui valut la considération générale. Il est vrai que les trois majestueux coups de poing qu’on lui avait vu appliquer étaient peut-être pour quelque chose dans cette considération.

À partir de ce jour-là, la vie de Pitou fut à peu près celle des autres écoliers, à cette différence près, que les autres écoliers subissaient les chances variables de la composition, tandis que Pitou restait obstinément dans les cinq ou six derniers, et amassait presque toujours une somme de retenues double de ses autres condisciples.

Mais, il faut le dire, une chose qui était dans la nature de Pitou, qui ressortait de l’éducation première qu’il avait reçue, ou plutôt qu’il n’avait pas reçue, une chose qu’il fallait compter pour un tiers au moins dans les nombreuses retenues qu’il subissait, c’était son inclination naturelle pour les animaux.