Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/434

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La reine avait voulu sortir vers minuit par la grille de Trianon, mois la garde nationale avait refusé de la laisser passer. Elle avait allégué des craintes, et on lui avait répondu qu’elle était plus en sûreté à Versailles que partout ailleurs. En conséquence, elle s’était retirée dans ses petits appartements, et, en effet, elle s’était rassurée en les voyant protégés par ses gardes les plus fidèles,

A sa porte, elle avait trouvé Georges de Charny. Il était armé, appuyé sur le fusil court que les gardes portaient comme les dragons. C’était contre les habitudes : les gardes, à l’intérieur, ne faisaient faction qu’avec leurs sabres.

Alors elle s’était approchée de lui.

— Ah ! c’est vous, baron ? avait-elle dit. — Oui, Madame. — Toujours fidèle ! — Ne suis-je pas à mon poste ? — Qui vous y a mis ? — Mon frère. Madame. — Et où est votre frère ? — Près du roi. — Pourquoi près du roi ? — Parce qu’il est le chef de la famille, a-t-il dit, et qu’en cette qualité il a le droit de mourir pour le roi, qui est le chef de l’État.

— Oui, dit Marie-Antoinette avec une certaine amertume, tandis que vous n’avez le droit de mourir que pour la reine. — Ce sera un grand honneur pour moi, Madame, dit le jeune homme en s’inclinant, si Dieu permet que j’accomplisse jamais ce devoir.

La reine fit un pas pour se retirer, mais un soupçon la mordit au cœur. Elle s’arrêta, et, tournant à demi la tête :

— Et… la comtesse, demanda-t-elle, qu’est -elle devenue ? — La comtesse. Madame, vient de rentrer il y a dix minutes, et s’est fait dresser un lit dans l’antichambre de Votre Majesté. La reine se mordit les lèvres.

Il suffisait qu’on touchât en quelque point à cette famille Charny pour qu’on ne fût jamais pris hors de son devoir.

— Merci, Monsieur, dit la reine avec un charmant signe de la tête et de la main à la fois, merci de ce que vous veillez si bien sur la reine. Vous remercierez de ma part votre frère de ce qu’il veille si bien sur le roi. Et à ces mots elle rentra. Dans l’antichambre elle trouva Andrée, non pas couchée, mais debout, respectueuse, et attendant. Elle ne put s’empêcher de lui tendre la main.

— Je viens de remercier votre beau-frère Georges, comtesse, dit-elle. Je l’ai chargé de remercier votre mari , et je vous remercie à votre tour.

Andrée fit la révérence et se rangea pour laisser passer la reine, qui regagna sa chambre à coucher.

La reine ne lui dit pas de la suivre ; ce dévouement, dont on sentait