Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/475

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— Madame Billot, le dessein de monsieur Billot est que vous vous tourmentiez le moins possible. — Comment cela ? fit la bonne femme avec surprise. — Que veut dire ce mot tourmenter ? dit la jeune Catherine. — Cela veut dire, répondit Pitou, que l’administration d’une ferme comme la vôtre est un gouvernement plein de soucis et de travail, qu’il y a des marchés à faire… — Eh bien ? fit la bonne femme. — Des paiements… — Eh bien ? — Des labours… — Après ? — Des récoltes. — Qui dit le contraire ? — Personne assurément, madame Billot ; mais, pour faire les marchés, il faut voyager. — J’ai mon cheval. — Pour payer, il faut se disputer. — Oh ! j’ai bon bec. — Pour labourer. — N’ai je pas l’habitude des surveillances ? — et pour récolter ! ah ! c’est bien une autre affaire ; il faut faire la cuisine aux ouvriers, il faut aider les charretiers… — Tout cela ne m’effraie pas pour le bien de mon homme, s’écria la digne femme. — Mais, madame Billot… enfin. — Enfin quoi ? — Tant de travail… et… un peu d’âge… — Ah ! fit la mère Billot en regardant Pitou de travers. — Aidez-moi donc, mademoiselle Catherine, dit le pauvre garçon voyant ses forces diminuer à mesure que la situation devenait plus difficile. — Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour vous aider, dit Catherine. — Eh bien ! voici, répliqua Pitou. Monsieur Billot n’a pas choisi madame Billot pour se donner tant de mal. — Qui donc ? interrompit-elle en tremblant à la fois d’admiration et de respect. — Il a choisi quelqu’un qui est plus fort et qui est lui-même et qui est vous-même. Il a choisi mademoiselle Catherine. — Ma fille Catherine pour gouverner la maison ! s’écria la vieille mère avec un accent de défiance et d’inexprimable jalousie. — Sous vos ordres, ma mère, se hâta de dire la jeune fille rougissant. — Non pas, non pas, insista Pitou, qui, di : moment où il s’était lancé, s’était lancé tout à fait ; non pas ! je fais la commission tout entière ; monsieur Billot délègue et autorise mademoiselle Catherine en son lieu et place pour tout le travail et toutes les affaires de la maison.

Chacune de ces paroles, accentuées par la vérité, pénétrait dans le cœur de la ménagère ; et, si bonne était cette nature, qu’au lieu d’y verser une jalousie plus acre et des colères plus brûlantes, la certitude de sa diminution la trouvait plus résignée, plus obéissante, plus pénétrée de l’infaillibilité de son mari.

Billot se pouvait-il tromper ? Billot pouvait-il ne pas être obéi ? Voilà les deux seuls arguments que se donna la brave femme contre elle-même, et toute sa résistance cessa.

Elle regarda sa fille, dans les yeux de laquelle elle ne vit que modestie, confiance, bonne volonté de réussir, tendresse et respect inaltérables. Elle céda absolument.