Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/481

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Pitou, désœuvré, mal rassasié par ce petit coup d’œil, moitié indifférent, moitié miséricordieux, que Catherine lui avait adressé en partant, Pitou ne put se résoudre à demeurer ainsi dans la perplexité. Depuis que Pitou avait revu Catherine, il semblait à Pitou que la vie de Catherine lui fût absolument nécessaire.

Et puis, outre cela, au fond de cet esprit lourd et dormeur, quelque chose comme un soupçon allait et venait avec la monotone régularité d’un balancier de pendule.

C’est le propre des esprits naïfs de tout percevoir à des degrés égaux. Ces natures paresseuses ne sont pas moins sensibles que d’autres ; seulement elles éprouvent, mais n’analysent pas.

L’analyse, c’est l’habitude de jouir et de souffrir. Il faut avoir pris une certaine habitude des sensations pour regarder leur bouillonnement au fond de cet abîme qu’on appelle le cœur humain. Il n’y a pas de vieillards naïfs.

Pitou, quand il eut entendu le pas du cheval qui s’éloignait, courut vers la porte. Il aperçut alors Catherine suivant un petit chemin de traverse qui conduisait de la ferme à la grande route de La Ferté-Milon, et aboutissant au bas d’une petite montagne dont le sommet se perd dans la forêt. Du seuil de cette porte, il envoya à la belle jeune fille un adieu plein de regrets et d’humilité. Mais à peine cet adieu fut-il envoyé de la main et du cœur, que Pitou réfléchit à une chose.

Catherine avait bien pu lui défendre de l’accompagner, mais elle ne pouvait l’empêcher de la suivre.

Catherine pouvait bien dire à Pitou : Je ne veux pas vous voir ; mais elle ne pouvait pas dire à Pitou : Je vous défends de me regarder. Pitou réfléchit donc que, puisqu’il n’avait rien à faire, rien ne l’empêchait au monde de longer sous bois le chemin qu’allait faire Catherine. Ainsi, sans être vu, il la verrait de loin, à travers les arbres. Il n’y avait qu’une lieue et demie de la ferme à La Ferté-Milon. Une lieue et demie pour aller, une lieue et demie pour revenir, qu’était-ce que cela pour Pitou ? D’ailleurs Catherine rejoignait la route par une ligne faisant angle avec la forêt. En prenant la perpendiculaire, Pitou économisait un quart de lieue. Restait donc deux lieues et demie seulement pour aller à La Ferté-Milon et revenir.

Deux lieues et demie, c’est une véritable bouchée de chemin à avaler pour un homme qui semblait avoir dévalisé le Petit-Poucet, ou lui avoir pris les bottes que le même Petit-Poucet avait prises à l’Ogre. A peine Pitou eut-il arrêté ce projet dans son esprit qu’il le mit à exécution. Tandis que Catherine gagnait la grande route, lui, Pitou, courbé derrière les grands seigles, gagnait la forêt.