Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/509

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moi ? — Non, mais il peut y en avoir, bien que je ne les connaisse pas, je ne connais pas tout. — Je le crois fichtre bien !

Pitou se signa.

— Que fais-tu ? libertin. — Vous jurez, monsieur l’abbé, je me signe. — Ah çà ! voyons, monsieur le drôle, êtes-vous venu chez moi pour me tympaniser ? — Vous tympaniser ! répéta Pitou. — Ah ! bon, voilà que tu ne comprends pas. — Si fait, monsieur l’abbé, je comprends. Ah ! grâce à vous, on connait les racines : tymapaniser, tympanum, tambour, vient du grec tympanon, tambour, bâton ou cloche.

L’abbé resta stupéfait.

— Racine : typos, marque, vestige ; et, comme dit Lancelot dans son Jardin des Racines grecques : typos, la forme qui s’imprime, lequel mot vient évidemment de tupto je frappe. Voilà. — Ah ! ah ! maroufle, reprit l’abbé de plus en plus abasourdi, il paraît que tu sais encore quelque chose, même ce que tu ne savais pas. — Peuh ! fit Pitou avec une fausse modestie. — Comment se fait-il que du temps où lu étais chez moi tu n’eusses jamais ainsi répondu ? — Parce que du temps que j’étais chez vous, monsieur l’abbé, vous m’abrutissiez ; parce que par votre despotisme vous refouliez dans mon intelligence et dans ma mémoire tout ce que la liberté en a fait sortir depuis. Oui, la liberté, entendez-vous ? insista Pitou en se montant la tête ; la liberté !

— Ah ! coquin ! — Monsieur l’abbé, fit Pitou avec un air d’avertissement qui n’était pas tout à fait exempt de menaces ; monsieur l’abbé, ne m’injuriez pas : contumelia non argumentum, dit un orateur, l’injure n’est pas une raison. — Je crois que le drôle, s’écria l’abbé furieux, se croit obligé de me traduire son latin. — Ce n’est pas du latin à moi, monsieur l’abbé, c’est du latin de Cicéron, c’est-à-dire d’un homme qui eût bien certainement trouvé que vous faisiez autant de barbarismes, eu égard à lui, que j’en puis faire eu égard à vous. — Tu ne prétends pas, j’espère, fit l’abbé Fortier, ébranlé sur sa base, tu ne prétends pas, j’espère, que je discute avec toi. — Pourquoi pas ? si de la discussion naît la lumière : abstrusum versis silicum. — Oh mais ! s’écria l’abbé Fortier, oh mais ! le drôle a été à l’école des révolutionnaires. — Non, puisque vous dites que les révolutionnaires sont des crétins et des ignares. — Oui, je le dis.

— Alors vous faites un faux raisonnement, monsieur l’abbé, et votre syllogisme est mal posé. — Mal posé ! moi, j’ai mal posé un syllogisme.

— Sans doute, monsieur l’abbé ; Pitou raisonne et parle bien ; Pitou a été à l’école des révolutionnaires, donc les révolutionnaires raisonnent et parlent bien. C’est forcé. — Animal ! brute ! imbécile ! — Ne me molestez point par des paroles, monsieur l’abbé : objargatio imbellem animum arguit, la faiblesse se trahit par la colère.