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Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/526

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fants, dit Pitou avec sa douceur mélancolique. — Mais ces enfants sont devenus des hommes, dit sourdement Maniquet en étendant vers l’abbé sa main mutilée. — Et ces hommes sont des serpents s’écria l’abbé irrité. — Et des serpents qui piqueront si on les blesse, dit le sergent Claude à son tour.

Le maire, dans ces menaces, pressentit toute la future révolution. L’abbé y devina le martyre.

— Que me veut-on, enfin ? dit-il. — On veut une partie des armes que vous avez ici, dit le maire en essayant de tout concilier. — Ces armes ne sont pas à moi, répondit l’abbé. — Mais à qui sont-elles donc ?

— Elles sont à monseigneur le duc d’Orléans. — D’accord, monMeur l’abbé, dit Pitou ; mais rien n’empêche. — Comment, rien n’empêche ? fil l’abbé. — Oui ; nous venons vous demander ces armes tout de même.

— J’en écrirai à monsieur le duc, fit majestueusement l’abbé. — Monsieur l’abbé oublie, dit le maire à demi voix, que c’est différer pour rien. Monseigneur, si on le consulte, répondra qu’il faut donner aux patriotes, non-seulement les fusils de ses ennemis les Anglais, mais encore les canons de son aïeul Louis XIV. Cette vérité frappa douloureusement l’abbé. Il murmura :

Circumdedisti me hostibus meis. — Oui, monsieur l’abbé, dit Pitou, c’est vrai, mais de vos ennemis politiques seulement ; car nous ne haïssons en vous que le mauvais patriote. — Imbécile ! s’écria l’abbé Fortier dans un moment d’exaltation qui lui donna une certaine éloquence ; absurde et dangereux imbécile ! lequel de nous deux est le bon patriote, de moi qui veut garder les armes pour la paix de la patrie, ou de toi qui les demandes pour la discorde et la guerre civile ? lequel est le bon fils, de moi qui m’en tiens à l’olivier pour fêter notre mère commune, ou de toi qui cherches du fer pour lui déchirer le sein ?

Le maire se détourna pour cacher son émotion, et tout en se détournant, il fit à l’abbé un petit signe sournois qui voulait dire : Trèsbien !


L’adjoint, nouveau Tarquin, abattit des fleurs avec sa canne. Ange fut désarçonné.

Ce que voyant ses deux subalternes, ils froncèrent le sourcil, Sébastien seul, l’enfant Spartiate, fut impassible. Il s’approcha de Pitou et demanda :

— De quoi s’agit-il donc, Pitou ?

Pitou le lui dit en deux mots.

— L’ordre est signé ? fit l’enfant. — Du ministre, du général La-