Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/68

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te vît ainsi. — Moi aussi, dit Pitou. — Je m’étonne bien de ce qu’elle dirait ? fit le fermier. — Elle ne dirait rien, elle ragerait. — Mais, papa, dit Catherine avec une certaine inquiétude, est-ce qu’elle n’aurait pas le droit de le reprendre ? — Puisqu’elle l’a chassé. — Et puis, dit Pitou, les cinq années sont écoulées. — Lesquelles ? demanda Catherine. — Celles pour lesquelles le docteur Gilbert a laissé mille francs. — Il avait donc laissé mille francs à la tante. — Oui, oui, oui, pour me faire faire mon apprentissage. — En voilà un homme ! dit le fermier. Quand on pense que tous les jours j’en entends raconter de pareilles. Aussi, pour lui, il fit un geste de la main, c’est à la vie, à la mort. — Il voulait que j’apprisse un état, dit Pitou. — Et il avait raison. Voilà pourtant comme les bonnes intentions sont dénaturées. On laisse mille francs pour faire apprendre un état à un enfant, et au lieu de lui faire apprendre un état, on vous le met chez un calotin qui veut en faire un séminariste. Et combien lui payait-elle à ton abbé Fortier ? — Qui ? — Ta tante. — Elle ne lui payait rien. — Alors elle empochait les deux cents livres de ce bon monsieur Gilbert ? — Probablement. — Écoute, si j’ai un conseil à te donner, Pitou, c’est, quand elle claquera, ta vieille bigote de tante, c’est de bien regarder partout, dans les armoires, dans les paillasses, dans les pots à cornichons. — Pourquoi ? demanda Pitou. — Parce que tu trouveras quelque trésor, vois-tu, des vieux louis dans un bas de laine. Eh ! sans doute, car elle n’aura pas trouvé de bourse assez grande pour mettre ses économies. — Vous croyez ? — J’en suis sûr. Mais nous parlerons de cela en temps et lieu. Aujourd’hui il est question de faire un petit tour. As-tu le livre du docteur Gilbert ? — Je l’ai là dans ma poche. — Mon père, dit Catherine, vous avez bien réfléchi ? — Il n’est pas besoin de réfléchir pour faire les bonnes choses, mon enfant, dit le fermier ; le docteur me dit de faire lire le livre, de propager les principes qu’il renferme, le livre sera lu, et les principes seront propagés. — Et, dit Catherine avec timidité, nous pouvons aller à la messe, ma mère et moi ? — Allez à la messe, dit Billot, vous êtes des femmes ; nous qui sommes des hommes, c’est autre chose ; viens, Pitou.

Pitou salua madame Billot et Catherine, et suivit le fermier, tout fier d’être appelé un homme.