Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/98

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qui pressait sa course, c’était comme un cri qui le poursuivait, la dernière syllabe de son nom prononcée par le cavalier, un hou ! hou ! qui semblait l’écho de sa colère, et qui passait dans l’air, au travers duquel il faisait son sillage.

Mais, au bout de dix minutes de cette course dératée, Pitou sentit sa poitrine s’alourdir, sa tête s’engorger. Ses yeux commencèrent à vaciller dans leurs orbites. Il lui sembla que ses genoux prenaient un développement considérable, que ses reins s’emplissaient de petites pierres. De temps en temps il buttait sur les sillons, lui qui d’ordinaire levait si haut les pieds en courant que l’on voyait tous les clous de ses souliers.

Enfin le cheval, né supérieur à l’homme dans l’art de courir, gagna sur le bipède Pitou, qui entendait en même temps la voix du cavalier qui criait, non plus hou ! hou ! mais bel et bien :

— Pitou ! Pitou !

C’en était fait : tout était perdu.

Cependant Pitou essaya de continuer la course ; c’était devenu une espèce de mouvement machinal ; il allait, emporté par la force répulsive ; tout à coup les genoux lui manquèrent. Il chancela, et s’allongea, en poussant un grand soupir, la face contre terre.

Mais en même temps qu’il se couchait, bien décidé de ne plus se relever, avec sa volonté du moins, il reçut un coup de fouet qui lui sangla les reins. Un gros juron qui ne lui était pas étranger retentit, et une voix bien connue lui cria :

— Ah çà ! butor ; ah çà ! imbécile, tu as donc juré de faire crever Cadet.

Ce nom de Cadet acheva de fixer les irrésolutions de Pitou.

— Ah ! s’écria-t-il en faisant un demi-tour sur lui-même, de sorte qu’au lieu de se trouver couché sur le ventre, il se trouva couché sur le dos. Ah ! j’entends la voix de monsieur Billot.

C’était en effet le père Billot. Quand Pitou se fut bien assuré de l’identité, il se mit sur son séant.

Le fermier, de son côté, avait arrêté Cadet tout ruisselant d’écume blanche.

— Ah ! cher monsieur Billot, s’écria Pitou, que vous êtes bon de courir comme cela après moi ! Je vous jure bien que je serais revenu à la ferme après avoir mangé le double louis de mademoiselle Catherine. Mais, puisque vous voilà, tenez, reprenez votre double louis, car, au bout du compte, il est à vous, et retournons à la ferme. — Mille diables ! dit Billot, il s’agit bien de la ferme ! où sont les mouchards ? — Les mouchards ? demanda Pitou qui ne comprenait pas bien la signification de ce mot, entré depuis peu de temps dans le vocabulaire de la langue.