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XXV.

JUGE ET BOURREAU.


En effet, dans une guerre de surprise comme celle qui allait avoir lieu entre les révoltés et ceux qui ne manqueraient pas de les poursuivre, la nuit devait surtout être l’auxiliaire de l’attaque et la terreur de la défense.

Celle dans laquelle on venait d’entrer était belle et sereine ; cependant la lune, arrivée à son dernier quartier, ne devait se lever que vers les onze heures.

Pour des hommes moins préoccupés du danger qu’ils couraient, et surtout moins habitués à de pareils aspects, c’eût été un majestueux spectacle que cette dégradation successive de la lumière au milieu des vastes solitudes et du paysage agreste que nous avons essayé de peindre. D’abord l’obscurité commença de monter des endroits inférieurs, s’élevant comme une marée le long des troncs d’arbres, aux flancs des rochers, sur les pentes de la montagne, conduisant le silence avec elle, et chassant peu à peu les dernières clartés du jour qui se réfugièrent au sommet du piton, s’y balancèrent un instant comme les flammes d’un volcan, puis s’éteignirent à leur tour submergées par cette mer de ténèbres.

Cependant, pour des yeux habitués à la nuit, cette obscurité n’était pas complète ; pour des oreilles habituées à la solitude, ce silence n’était point absolu. La vie ne s’éteint jamais tout entière dans la nature ; aux bruits des jours qui s’endorment succèdent les bruits de la nuit qui s’éveillent : au milieu de ce grand murmure que font, en se mêlant ensemble, le frémissement des feuilles et la plainte des ruisseaux, passent d’autres rumeurs, causées par la voix ou par les pas des animaux de ténèbres : voix sombres, pas furtifs et inattendus, qui inspirent aux cœurs les plus fermes cette émotion mystérieuse que le raisonnement ne peut combattre, parce que la vue ne peut rassurer.

Or, aucune de ces rumeurs confuses n’échappait à l’oreille