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VI.

TRANSFIGURATION.


Et maintenant il faut que nos lecteurs nous permettent d’abandonner ce fils et ce père à la joie du retour, et, revenant avec nous sur le passé, consentent à suivre avec nous la transfiguration physique et morale qui s’était opérée pendant l’espace de ces quatorze ans, dans le héros de cette histoire, que nous lui avions fait entrevoir enfant, et que nous venons de lui montrer jeune homme.

Nous avions d’abord eu l’idée de mettre purement et simplement sous les yeux du lecteur le récit que fit Georges à son père de ces quatorze années ; mais nous avons réfléchi que ce récit étant une histoire toute de pensées intimes et de sensations secrètes, on pourrait se défier avec raison de la véracité d’un homme du caractère de Georges, surtout lorsque cet homme parle de lui-même. Nous avons donc résolu de conter personnellement, et à notre guise, cette histoire, dont nous connaissons chaque détail, promettant d’avance, vu que notre amour-propre à nous n’est point engagé dans l’affaire, à ne cacher aucune sensation bonne ou mauvaise, aucune pensée honorable ou honteuse.

Partons donc du même point d’où Georges était parti lui même.

Pierre Munier, dont nous avons essayé de tracer le caractère, avait, dès qu’il était entré dans la vie active, c’est-à-dire dès que d’enfant il était devenu homme, adopté vis-a-vis des blancs un système de conduite dont il ne s’écarta jamais ; ne se sentant ni la force ni la volonté de combattre en duelliste un accablant préjugé, il avait pris la résolution de désarmer ses adversaires par une soumission inaltérable et par une inépuisable humilité ; sa vie fut tout entière occupée à excuser sa naissance. Loin de briguer, malgré ses richesses et son intelligence, aucune fonction administrative, aucun emploi civil, aucune distinction politique, il avait constamment cherché à se faire oublier en se perdant dans la foule ; la même