Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/79

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de Georges, de son côté, se piqua d’honneur, et insista pour que le sort décidât d’un avantage qui, entre deux hommes d’une force si grande, donnait toute chance à celui qui tirerait le premier. Mais Georges tint bon, et son adversaire fut obligé de céder.

Le garçon du tir avait suivi les combattants. Il chargea les pistolets avec la même mesure, la même poudre et les mêmes balles que celles avec lesquelles les expériences précédentes avaient été faites. C’étaient aussi les mêmes pistolets. Georges avait imposé ce point comme une condition sine qua non.

Les adversaires se placèrent à vingt-cinq pas, et chacun d’eux reçut des mains de son témoin un pistolet tout chargé. Puis les témoins s’éloignèrent, laissant aux combattants la faculté de tirer l’un sur l’autre dans l’ordre convenu.

Georges ne prit aucune des précautions usitées en pareille circonstance, il n’essaya de garantir avec son pistolet aucune partie de son corps. Il laissa pendre son bras le long de sa cuisse et présenta dans toute sa largeur sa poitrine entièrement désarmée.

Son adversaire ne savait ce que voulait dire une telle conduite : il s’était trouvé plusieurs fois en circonstance pareille : jamais il n’avait vu un semblable sang-froid. Aussi cette conviction profonde de Georges commença-t-elle à produire son effet. Ce tireur si habile, qui n’avait jamais manqué son coup, douta de lui-même.

Deux fois il leva le pistolet sur Georges, et deux fois il le baissa. C’était contre toutes les règles du duel, mais à chaque fois Georges se contenta de lui dire :

— Prenez votre temps, monsieur ; prenez votre temps.

À la troisième, il eut honte de lui-même, et fit feu.

Il y eut un moment d’angoisse terrible parmi les témoins. Mais aussitôt le coup parti, Georges se tourna successivement à gauche et à droite, et saluant ces deux messieurs, pour leur indiquer qu’il n’était pas blessé :

— Eh bien ! monsieur, dit-il à son adversaire, vous voyez bien que j’avais raison, et que quand on tire sur un homme, on est moins sûr de son coup que lorsqu’on tire sur une plaque.