Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/203

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— Ne nous inquiétons pas de cela, cher confrère.

— On dirait que vous allez au bal, et chez des dames.

— Pourquoi ne pas faire honneur d’un bas de soie à dame nature ? répliqua M. de Jussieu un peu embarrassé ; n’est-ce pas une maîtresse qui vaut la peine qu’on se mette en frais pour elle ?

Rousseau n’insista pas ; du moment où M. de Jussieu invoquait la nature, il était d’avis lui-même qu’on ne pouvait jamais lui faire trop d’honneur.

Quant à Gilbert, malgré son stoïcisme, il regardait M. de Jussieu avec un œil d’envie. Depuis qu’il avait vu tant de jeunes élégants rehausser encore avec la toilette les avantages naturels dont ils étaient doués, il avait compris la frivole utilité de l’élégance, et il se disait tout bas que ce satin, cette batiste, ces dentelles, donneraient bien du charme à sa jeunesse, et que, sans aucun doute, au lieu d’être vêtu comme il était, s’il était vêtu comme M. de Jussieu, et qu’il rencontrât Andrée, Andrée le regarderait.

On partit au grand trot de deux bons chevaux danois. Une heure après le départ, les botanistes descendaient à Bougival et coupaient vers la gauche par le chemin des Châtaigniers.

Cette promenade, merveilleusement belle aujourd’hui, était à cette époque d’une beauté au moins égale, car la partie du coteau que s’apprêtaient à parcourir nos explorateurs, boisée déjà sous Louis XIV, avait été l’objet de soins constants depuis le goût du souverain pour Marly.

Les châtaigniers aux rugueuses écorces, aux branches gigantesques, aux formes fantastiques, qui tantôt imitent dans leurs noueuses circonvolutions le serpent s’enroulant autour du tronc, tantôt le taureau renversé sur l’étal du boucher et vomissant un sang noir, le pommier chargé de mousse, et les noyers, colosses dont le feuillage passe, en juin, du vert jaune au vert bleu ; cette solitude, cette aspérité pittoresque du terrain qui monte sous l’ombre des vieux arbres jusqu’à dessiner une vive arête sur le bleu mat du ciel ; toute cette nature puissante, gracieuse et mélancolique plongeait Rousseau dans un ravissement inexprimable.