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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/25

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de votre travail, j’aurais plutôt fait de copier vos manuscrits qui sont sur votre bureau, que de raconter par signes le sujet qu’ils traitent.

C’était vrai, et Rousseau sentit si bien qu’il avait dit une de ces énormités qui lui échappaient dans ces monomanies de terreur, qu’il se fâcha.

— Monsieur, dit-il, j’en suis désespéré pour vous, mais l’expérience m’a rendu sévère ; ma vie s’est écoulée dans les déceptions ; j’ai été trahi par tous, renié par tous, livré, vendu, martyrisé par tous. Je suis, vous le savez, un des illustres malheureux que les gouvernements mettent au ban de la société. Dans une pareille situation, il est permis d’être soupçonneux. Or, vous m’êtes suspect, et vous allez sortir de chez moi.

Gilbert ne s’attendait pas à cette péroraison.

Lui, être chassé !

Il ferma ses poings crispés, et un éclair qui fit frissonner Rousseau passa dans ses yeux.

Mais cet éclair passa sans durer et s’éteignit sans bruit.

Gilbert avait réfléchi qu’en partant il allait perdre le bonheur si doux de voir Andrée à chaque instant du jour, et cela en perdant l’amitié de Rousseau : c’était à la fois le malheur et la honte.

Il tomba du haut de son orgueil sauvage, et joignant les deux mains :

— Monsieur, dit-il, écoutez-moi, un mot, un seul.

— Je suis impitoyable, s’écria Rousseau ; les hommes m’ont rendu, par leurs injustices, plus féroce qu’un tigre. Vous correspondez avec mes ennemis, allez les rejoindre, je ne vous en empêche pas ; liguez-vous avec eux, je ne m’y oppose pas, mais sortez de chez moi.

— Monsieur, ces deux jeunes filles ne sont pas vos ennemies, c’est mesdemoiselles Andrée et Nicole.

— Qu’est-ce que mademoiselle Andrée ? demanda Rousseau à qui ce nom prononcé déjà deux ou trois fois par Gilbert n’était pas tout à fait étranger ; qu’est-ce que mademoiselle Andrée ? Ddites !