Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/38

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— Que vois-tu donc ? demanda Balsamo, étonné de cette effrayante lucidité qui parfois l’épouvantait lui-même.

— Oh ! je vois des ténèbres parmi lesquelles glissent des fantômes ; il y en a qui tiennent à la main leurs têtes couronnées, et toi, toi, tu es au milieu de tout cela, comme un général au milieu de la mêlée. Il me semble que tu as les pouvoirs de Dieu, tu commandes, et l’on obéit.

— Eh bien, dit Balsamo avec joie, cela ne te rend pas fière de moi ?

— Oh ! tu es assez bon pour ne pas être grand. D’ailleurs, je me cherche dans tout ce monde qui t’entoure, et je ne me vois pas. Oh ! je n’y serai plus… Je n’y serai plus, murmura-t-elle tristement.

— Et où seras-tu ?

— Je serai morte.

Balsamo frissonna.

— Toi morte, ma Lorenza ! s’écria-t-il ; non, non, nous vivrons ensemble et pour nous aimer.

— Tu ne m’aimes pas.

— Oh ! si fait.

— Pas assez, du moins, pas assez ! s’écria-t-elle en saisissant de ses deux bras la tête de Joseph… pas assez, ajouta-t-elle en appuyant sur son front des lèvres ardentes qui multipliaient leurs caresses.

— Que me reproches-tu ?

— Ta froideur. Vois, tu te recules. Est-ce que je te brûle avec mes lèvres, que tu fuis devant mes baisers ? Oh ! rends-moi ma tranquillité de jeune fille, mon couvent de Subiaco, les nuits de ma cellule solitaire. Rends-moi les baisers que tu m’envoyais sur l’aile des brises mystérieuses, et que dans mon sommeil je voyais venir à moi, comme des sylphes aux ailes d’or, et qui fondaient mon âme dans les délices.

— Lorenza ! Lorenza !

— Oh ! ne me fuis pas, Balsamo, ne me fuis pas, je t’en supplie ; donne-moi ta main, que je la presse ; tes yeux, que je les embrasse ; je suis ta femme, enfin.