Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/39

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— Oui, oui, ma Lorenza chérie, oui, tu es ma femme bien-aimée.

— Et tu souffres que je passe ainsi près de toi, inutile, délaissée : tu as une fleur chaste et solitaire dont le parfum t’appelle, et tu repousses son parfum ! Ah ! je le sens bien, je ne suis rien pour toi.

— Tu es tout, au contraire, ma Lorenza, puisque c’est toi qui fais ma force, ma puissance, mon génie, puisque, sans toi, je ne pourrais plus rien. Cesse donc de m’aimer de cette fièvre insensée qui trouble les nuits des femmes de ton pays. Aime-moi comme je t’aime, moi.

— Oh ! ce n’est pas de l’amour, ce n’est pas de l’amour que tu as pour moi.

— C’est au moins tout ce que je demande de toi ; car tu me donnes tout ce que je désire, car cette possession de l’âme me suffit pour être heureux.

— Heureux ! dit Lorenza d’un air de mépris ; tu appelles cela être heureux ?

— Oui, car pour moi, être heureux, c’est être grand.

Lorenza poussa un long soupir.

— Oh ! si tu savais ce que c’est, ma douce Lorenza, que de lire à découvert dans le cœur des hommes pour les dominer avec leurs propres passions.

— Oui, je vous sers à cela, je le sais bien.

— Ce n’est pas tout. Tes yeux lisent pour moi dans le livre fermé de l’avenir. Ce que je n’ai pu apprendre avec vingt années de labeurs et de misères, toi, ma douce colombe, innocente et pure, quand tu veux, tu me l’apprends. Mes pas, sur lesquels tant d’ennemis jettent des embûches, tu les éclaires ; mon esprit, dont dépendent ma vie, ma fortune, ma liberté, tu le dilates comme l’œil du lynx qui voit pendant la nuit. Tes beaux yeux, en se fermant au jour de ce monde, s’ouvrent à une clarté surhumaine ! ils veillent pour moi. C’est toi qui me fais libre, qui me fais riche, qui me fais puissant.

— Et toi, en échange, tu me fais malheureuse ! s’écria Lorenza tout éperdue d’amour.