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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/58

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— J’ai été l’élève de l’un et le maître de l’autre.

Et tandis que le cardinal, épouvanté, se demandait si ce n’était pas le diable en personne et non un de ses suppôts qui se trouvait à ses côtés, Balsamo plongea dans la fournaise sa tenaille aux longs bras.

L’étreinte fut sûre et rapide. L’alchimiste engloba le creuset à quatre pouces au-dessous du bord, s’assura, en le soulevant de quelques pouces seulement, qu’il le tenait bien ; puis, par un effort vigoureux, il raidit les muscles, et enleva l’effrayante marmite de son fourneau ardent ; les mains de la tenaille rougirent aussitôt ; puis, on vit courir sur l’argile incandescente des sillons blancs comme des éclairs dans une nuée sulfureuse ; puis, les bords du creuset se foncèrent en rouge-brun, tandis que le fond conique apparaissait encore rose et argent sur le pénombre du fourneau ; puis, enfin, le métal ruisselant sur lequel s’était formée une crème violette, frisée de plis d’or, siffla par la gouttière du creuset, et tomba en jets flamboyants dans le moule noir, à l’orifice duquel apparut, furieuse et écumante, la nappe d’or, insultant, par ses frissonnements, au vil métal qui la contenait.

— Au second, dit Balsamo, en passant à un second moule.

Et le second moule fut rempli avec la même force et la même dextérité. La sueur dégouttait du front de l’opérateur : le spectateur se signait dans l’ombre.

En effet, c’était un tableau d’une sauvage et majestueuse horreur. Balsamo, éclairé par les fauves reflets de la flamme métallique, ressemblait aux damnés que Michel-Ange et Dante tordent dans le fond de leurs chaudières.

Puis il y avait l’émotion de l’inconnu.

Balsamo ne respira point entre les deux opérations, le temps pressait.

— Il y aura un peu de déchet, dit-il, après avoir rempli le second moule ; j’ai laissé bouillir la mixture un centième de minute de trop.

— Un centième de minute ! s’écria le cardinal, ne cherchant plus à cacher sa stupéfaction.