Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Jean ne bougea point ; il faisait ses tartines.

— Manquerais-tu d’argent ? demanda Chon.

— Oh ! quant à cela, dit la comtesse, le roi en manquera avant moi.

— Alors, prête-moi mille louis, dit Jean : j’en ai grand besoin.

— Mille croquignoles sur votre gros nez rouge.

— Le roi garde donc décidément cet abominable Choiseul ? demanda Chon.

— Belle nouvelle ! vous savez bien qu’ils sont inamovibles.

— Alors il est donc amoureux de la dauphine ?

— Ah ! vous vous rapprochez, c’est heureux ; mais voyez donc ce butor, qui se crève de chocolat, et qui ne remue pas seulement le petit doigt pour venir à mon secours. Oh ! ces deux êtres-là me feront mourir de chagrin.

Jean, sans s’occuper le moins du monde de l’orage grondant derrière lui, fendit un second pain, le bourra de beurre et se versa une seconde tasse.

— Comment ! le roi est amoureux ? s’écria Chon.

Madame du Barry fit un signe de tête qui voulait dire :

— Vous y êtes.

— Et de la dauphine ? continua Chon en joignant les mains. Eh bien, tant mieux, il ne sera pas incestueux, je suppose, et vous voilà tranquille ; mieux vaut qu’il soit amoureux de celle-là que d’une autre.

— Et s’il n’est pas amoureux de celle-là, mais d’une autre ?

— Bon ! fit Chon en pâlissant. Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que me dis-tu là ?

— Oui, trouve-toi mal maintenant, il ne nous manque plus que cela.

— Ah ! mais s’il en est ainsi, murmura Chon, nous sommes perdus, et tu souffres cela, Jeanne ? Mais de qui donc est-il amoureux ?

— Demande-le à monsieur ton frère, qui est violet de chocolat et qui va étouffer ici ; il te le dira, lui, car il le sait, ou du moins il s’en doute.

Jean leva la tête.