— Ah ! dit-il, vous avez des visites, comtesse ?…
— Madame de Béarn, sire.
— Sire, justice ! s’écria la vieille dame en faisant une profonde révérence.
— Oh ! oh ! s’écria Louis XV avec un persifflage inintelligible pour quiconque ne le connaissait pas ; quelqu’un vous aurait-il offensé, madame ?
— Sire, je demande justice.
— Contre qui ?
— Contre le parlement.
— Ah ! bon !… fit le roi en frappant dans ses mains ; vous vous plaignez de mes parlements. Eh bien, faites-moi donc le plaisir de les mettre à la raison. J’ai aussi à m’en plaindre, moi, et je vous demande justice également, ajouta-t-il en imitant la révérence de la vieille comtesse.
— Sire, enfin vous êtes le roi, vous êtes le maître.
— Le roi, oui ; le maître, pas toujours.
— Sire, exprimez votre volonté.
— C’est ce que je fais tous les soirs, madame ; et eux, tous les matins, expriment aussi leur volonté. Or, comme ces deux volontés sont diamétralement opposées l’une à l’autre, il en est de nous comme de la terre et de la lune, qui courent éternellement l’une après l’autre sans jamais se rencontrer.
— Sire, votre voix est assez puissante pour couvrir toutes les criailleries de ces gens-là.
— C’est ce qui vous trompe. Je ne suis pas avocat, moi, et eux le sont. Si je dis oui, ils disent non ; impossible de s’entendre… Ah ! si, quand j’ai dit oui, vous trouvez un moyen de les empêcher de dire non, je fais alliance avec vous.
— Sire, ce moyen, je l’ai.
— Donnez-le-moi tout de suite.
— Ainsi ferai-je, sire. Tenez un lit de justice.
— Voilà bien un autre embarras, dit le roi ; un lit de justice ! Y pensez-vous, madame ? C’est quasi une révolution.
— C’est un moyen de dire en face à ces gens rebelles que vous êtes le maître. Vous savez, sire, que le roi, lorsqu’il