que Dieu et les hommes leur sont de peu ; mais qu’au moindre aboiement du plus petit chien, ils crient « À l’aide ! » qu’au moindre accès de fièvre, ils crient : « Mon Dieu ! je suis mort. »
C’était un des thèmes favoris de Thérèse, celui qui faisait le plus briller son éloquence, celui auquel Rousseau, timide naturellement, trouvait les plus mauvaises réponses. ― Aussi Rousseau berçait-il, au son de cette aigre musique, sa pensée à lui, qui, certes, valait bien celle de Thérèse, malgré tout le blâme que lui prodiguait cette femme.
— Le bonheur se compose de parfums et de bourdonnements, disait-il ; or, ce sont choses de convention que le bruit et l’odeur… Qui établira que l’oignon sente moins bon que la rose, et que le paon chante moins bien que le rossignol ?
Sur cet axiome, qui pouvait passer pour un bel et bon paradoxe, on se mit à table et l’on dîna.
Rousseau, après son dîner, n’alla pas s’asseoir à son clavecin, comme d’habitude. Il fit vingt tours dans sa chambre et regarda plus de cent fois à la fenêtre pour étudier la physionomie de la rue Plâtrière.
Thérèse alors fut prise d’un de ces accès de jalousie comme en ont par contrariété les gens taquins, c’est-à-dire les gens les moins réellement jaloux de la terre.
Car, s’il est une affectation qui soit désagréable, c’est celle d’un défaut ; passe encore pour les qualités.
Thérèse, qui méprisait profondément la virilité, la complexion, l’esprit et les habitudes de Rousseau, Thérèse, qui le trouvait vieux, souffrant et laid, n’avait pas peur qu’on lui enlevât son mari ; elle ne supposait pas que les femmes dussent le voir avec d’autres yeux qu’elle-même. Cependant, comme c’est un des supplices les plus friands pour une femme que la torture par la jalousie, Thérèse se donnait parfois ce régal.
Voyant donc Rousseau s’approcher si souvent de la fenêtre, rêver et ne pas tenir en place :
— Bon ! dit-elle, je comprends toute votre agitation… Vous avez quitté tout à l’heure quelqu’un.