Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/143

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et abattez ces deux cent mille têtes comme Tarquin faisait des pavots du Latium, et tout sera dit ; et vous n’aurez plus que deux puissances en face l’une de l’autre, peuple et royauté. Alors, que la royauté, cet emblème, essaye de lutter avec le peuple, ce géant, et vous verrez. Quand les nains veulent abattre un colosse, ils commencent par le piédestal ; quand les bûcherons veulent abattre le chêne, ils l’attaquent par le pied. Bûcherons, bûcherons ! prenons la hache, attaquons le chêne par ses racines, et le chêne antique, au front superbe, baisera le sable tout à l’heure. »

— Et vous écrasera comme des pygmées en tombant sur vous, malheureux ! s’écria Balsamo d’une voix tonnante. Ah ! vous vous déchaînez contre les poètes, et vous parlez par métaphores plus poétiques et plus imagées que les leurs ! Frère, frère ! continua-t-il en s’adressant à Marat, vous avez pris ces phrases, je vous le dis, dans quelque roman que vous élaborez dans votre mansarde.

Marat rougit.

— Savez-vous ce que c’est qu’une révolution ? continua Balsamo. J’en ai vu deux cents, moi, et je puis vous le dire. J’ai vu celles de l’Égypte antique, j’ai vu celles de l’Assyrie, celles de la Grèce, celles de Rome, celles du Bas-Empire. J’ai vu celles du moyen âge, où les peuples se ruaient les uns sur les autres, orient sur occident, occident sur orient, et s’égorgeaient sans s’entendre. Depuis celles des rois pasteurs jusqu’à nous, il y a eu cent révolutions, peut-être. Et tout à l’heure vous vous plaigniez d’être esclaves. Les révolutions ne servent donc à rien. Pourquoi cela ? C’est que ceux qui faisaient des révolutions étaient tous atteints du même vertige : ils se hâtaient.

« Est-ce que Dieu, qui préside aux révolutions des hommes, se hâte, lui ?

« Renversez ! renversez le chêne ! criez-vous, et vous ne calculez pas que le chêne, qui met une seconde à tomber, couvre autant de terrain en tombant qu’un cheval, lancé au galop, en parcourrait en trente secondes. Or, ceux qui abattaient le chêne, n’ayant pas le temps d’éviter sa chute imprévue, étaient