Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/156

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tête que vous tenez par les cheveux a roulé tout à l’heure au bas de cette table de marbre, et, en prononçant à l’oreille de cette tête le nom dont on l’avait baptisée pendant sa vie, j’ai vu ses yeux se rouvrir et se tourner dans leur orbite, cherchant à voir qui les avait appelés de la terre pendant ce passage du temps à l’éternité.

— Mouvement nerveux, pas autre chose.

— Les nerfs ne sont-ils pas les organes de la sensibilité ?

— Que concluez-vous de là, monsieur ?

— Je conclus qu’il vaudrait mieux, qu’au lieu de chercher une machine qui tuât pour punir, l’homme cherchât un moyen de punir sans tuer. Elle sera la meilleure et la plus éclairée des sociétés, croyez-moi, la société qui aura trouvé ce moyen-là.

— Utopie encore ! utopie toujours ! dit Marat.

— Cette fois, vous avez peut-être raison, dit Balsamo ; le temps nous éclairera… N’avez-vous point parlé de l’hôpital ?… Allons-y !

— Allons !

Et il enveloppa la tête de la jeune femme dans son mouchoir de poche, dont il noua soigneusement les quatre coins.

— Maintenant, dit en sortant Marat, je suis sûr au moins que mes camarades n’auront que mon reste.

On prit le chemin de l’Hôtel-Dieu ; le rêveur et le praticien marchaient à côté l’un de l’autre.

— Vous avez coupé très froidement et très habilement cette tête, monsieur, dit Balsamo ; avez-vous moins d’émotion quand il s’agit des vivants que des morts ? La souffrance vous touche-t-elle plus que l’immobilité ? Êtes-vous plus pitoyable aux corps qu’aux cadavres ?

— Non, car ce serait un défaut, un défaut comme c’en est un au bourreau de se laisser impressionner. On tue aussi bien un homme en lui coupant mal la cuisse qu’en lui coupant mal la tête. Un bon chirurgien doit opérer avec sa main et non avec son cœur, quoiqu’il sache bien, en son cœur, que pour une souffrance d’un instant il donne des années de vie et de