Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/157

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santé. C’est le beau côté de notre profession celui-là, maître.

— Oui, monsieur ; mais, sur les vivants, vous rencontrez l’âme, j’espère ?

— Oui, si vous convenez avec moi que l’âme c’est le mouvement ou la sensibilité ; oui, certes, je la rencontre, et bien gênante même, car elle tue plus de malades que n’en tue mon scalpel.

On était arrivé au seuil de l’Hôtel-Dieu. Ils entrèrent à l’hospice. Bientôt, guidé par Marat, qui n’avait pas quitté son sinistre fardeau, Balsamo put pénétrer dans la salle des opérations, envahie par le chirurgien en chef et par les élèves en chirurgie.

Les infirmiers venaient d’apporter là un jeune homme renversé la semaine précédente par une lourde voiture, dont la roue lui avait broyé le pied. Une première opération faite à la hâte sur le membre engourdi par la douleur n’avait pas suffi ; le mal s’était développé rapidement, l’amputation de la jambe était devenue urgente.

Ce malheureux, étendu sur le lit d’angoisses, regardait, avec un effroi qui eût attendri des tigres, cette bande d’affamés qui épiaient l’instant de son martyre, de son agonie peut-être, pour étudier la science de la vie, phénomène merveilleux derrière lequel se cache le sombre phénomène de la mort.

Il semblait demander à chacun des chirurgiens, des élèves et des infirmiers, une consolation, un sourire, une caresse ; mais il ne rencontrait partout que l’indifférence avec son cœur, que l’acier avec ses yeux.

Un reste de courage et d’orgueil le rendait muet. Il réservait toutes ses forces pour les cris qu’allait bientôt lui arracher la douleur.

Cependant, quand il sentit sur son épaule la main pesamment complaisante du gardien, quand il sentit les bras des aides l’envelopper comme les serpents de Laocoon, quand il entendit la voix de l’opérateur lui dire : « Du courage ! » il se hasarda, le malheureux, à rompre le silence et à demander d’une voix plaintive :