— Souffrirai-je beaucoup ?
— Eh, non, soyez tranquille, répondit Marat avec un sourire faux, qui fut caressant pour le malade, ironique pour Balsamo.
Marat vit que Balsamo l’avait compris : il se rapprocha de lui, et dit tout bas :
— C’est une opération épouvantable ; l’os est plein de gerçures et sensible à faire pitié. Il mourra, non du mal, mais de la douleur : voilà ce que lui vaudra son âme à ce vivant.
— Pourquoi l’opérez-vous alors ; pourquoi ne le laissez-vous pas tranquillement mourir ?
— Parce qu’il est du devoir du chirurgien de tenter la guérison, même quand la guérison lui semble impossible.
— Et vous dites qu’il souffrira ?
— Effroyablement.
— Par la faute de son âme ?
— Par la faute de son âme, qui a trop de tendresse pour son corps.
— Alors, pourquoi ne pas opérer sur l’âme ? La tranquillité de l’une serait peut-être la guérison de l’autre.
— C’est aussi ce que je viens de faire…, dit Marat, tandis que l’on continuait à lier le patient.
— Vous avez préparé son âme ?
— Oui.
— Comment cela ?
— Comme on fait, par des paroles. J’ai parlé à l’âme, à l’intelligence, à la sensibilité, à la chose qui faisait dire au philosophe grec : « Douleur, tu n’es pas un mal ! » le langage qui convient à cette chose. Je lui ai dit : « Vous ne souffrirez pas. » Reste maintenant à l’âme à ne point souffrir, cela la regarde. Voilà le remède connu jusqu’à présent, quant aux questions de l’âme : le mensonge ! Pourquoi aussi cette diablesse d’âme est-elle attachée au corps ? Tout à l’heure, quand j’ai coupé cette tête, le corps n’a rien dit. L’opération, cependant, était grave. Mais, que voulez-vous ! le mouvement avait cessé, la sensibilité s’était éteinte, l’âme s’était envolée, comme vous dites,