Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/159

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vous autres spiritualistes. Voilà pourquoi cette tête que je coupais n’a rien dit, voilà pourquoi ce corps que je décapitais m’a laissé faire ; tandis que ce corps que l’âme habite encore, pour peu de temps, c’est vrai, mais enfin qu’elle habite encore, va pousser des cris effroyables dans un instant. Bouchez bien vos oreilles, maître. Bouchez-les, vous qui êtes sensible à cette connexité des âmes et des corps, qui tuera toujours votre théorie, jusqu’au jour où votre théorie sera parvenue à isoler le corps de l’âme.

— Vous croyez qu’on n’arrivera jamais à cet isolement ?

— Essayez, dit Marat, l’occasion est belle.

— Eh bien, oui, vous avez raison, dit Balsamo, l’occasion est belle, et j’essaie.

— Oui, essayez.

— Oui.

— Comment cela ?

— Je ne veux pas que ce jeune homme souffre, il m’intéresse.

— Vous êtes un illustre chef, dit Marat, mais vous n’êtes ni Dieu le père, ni Dieu le fils, et vous n’empêcherez pas ce gaillard-là de souffrir.

— Et s’il ne souffrait point, croiriez-vous à sa guérison ?

— Elle serait plus probable, mais elle ne serait pas sûre.

Balsamo jeta sur Marat un inexprimable regard de triomphe, et se plaçant devant le jeune malade, dont il rencontra les yeux effarés et déjà noyés dans les angoisses de la terreur :

— Dormez, dit-il non seulement avec sa bouche, mais encore avec son regard, avec sa volonté, avec toute la chaleur de son sang, avec tout le fluide de son corps.

En ce moment, le chirurgien en chef commençait à palper la cuisse malade, et à faire observer aux élèves l’intensité du mal.

Mais à ce commandement de Balsamo, le jeune homme, qui s’était relevé sur son séant, oscilla un instant dans les bras des aides, sa tête se pencha, ses yeux se fermèrent.

— Il se trouve mal, dit Marat.

— Non, monsieur.

— Mais ne voyez-vous pas qu’il perd connaissance ?