— Nous reviendrons là-dessus tout à l’heure. Vous disiez donc que la folie était une abstraction momentanée de l’esprit ?
— Assurément.
— Involontaire, n’est-il pas vrai ?
— Oui… J’ai vu un fou à Bicêtre qui mordait ses barreaux de fer en criant : « Cuisinier, tes faisans sont tendres, mais ils sont mal accommodés. »
— Mais, enfin, admettez-vous que cette folie passe comme un nuage sur l’esprit, et que, le nuage passé, l’esprit reprenne sa limpidité première ?
— Cela n’arrive presque jamais.
— Vous avez vu, cependant, notre amputé en parfaite raison après son sommeil de fou.
— Je l’ai vu ; mais je n’ai point compris ce que je voyais ; c’est un cas exceptionnel, une de ces étrangetés que les Hébreux appelaient des miracles…
— Non, monsieur, dit Balsamo ; c’est uniquement l’abstraction de l’âme, le double isolement de la matière et de l’esprit : de la matière, chose inerte, poussière qui retournera poussière ; de l’âme, étincelle divine enfermée un instant dans cette lanterne sourde qu’on appelle le corps, et qui, fille du Ciel, après la chute du corps, retournera au Ciel.
— Alors, vous avez tiré momentanément l’âme du corps ?
— Oui, monsieur, je lui ai ordonné de quitter l’endroit misérable où elle était ; je l’ai extraite du gouffre de souffrance où la douleur la retenait, pour la faire voyager dans des régions libres et pures. Qu’est-il alors resté au chirurgien ? Ce qui restait à votre scalpel quand vous enlevâtes à la femme morte cette tête que vous tenez, rien que de la chair inerte, de la matière, de l’argile.
— Et au nom de qui avez-vous disposé ainsi de cette âme ?
— Au nom de Celui qui a créé toutes les âmes d’un souffle : âmes des mondes, âmes des hommes ; au nom de Dieu.
— Alors, dit Marat, vous niez le libre arbitre ?
— Moi, dit Balsamo ; mais que fais-je donc en ce moment,