Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/170

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au contraire ? Je vous montre, d’un côté, le libre arbitre ; de l’autre, l’abstraction. Je vous expose un mourant laissé à toutes les souffrances ; cet homme a une âme stoïque, il va au-devant de l’opération, il la provoque, il la supporte, mais il souffre : voilà pour le libre arbitre. Mais si je passe près de ce mourant, moi l’envoyé de Dieu, moi le prophète, moi l’apôtre, et si, prenant en pitié cet homme, mon semblable, j’enlève par le pouvoir que le Seigneur m’a donné l’âme de son corps qui souffre, ce corps aveugle, inerte, insensible, devient pour l’âme un spectacle qu’elle contemple pieusement et miséricordieusement du haut de sa sphère limpide. Havard, ne l’avez-vous point entendu ? — Havard, quand il parlait de lui-même, disait : « Ce pauvre Havard ! » Il ne disait plus moi. C’est qu’en effet cette âme n’avait plus affaire à ce corps, elle qui était à moitié chemin du ciel.

— Mais, à ce compte, l’homme n’est plus rien, dit Marat, et je ne puis plus dire aux tyrans : « Vous avez puissance sur mon corps, mais vous ne pouvez rien sur mon âme. »

— Ah ! voilà que vous passez de la vérité au sophisme ; monsieur, je vous l’ai déjà dit, c’est votre défaut. Dieu prête l’âme au corps, il est vrai, mais il n’en est pas moins vrai que, tout le temps que l’âme possède ce corps, il y a union entre eux, influence de l’un sur l’autre, suprématie de la matière sur l’idée, selon que, dans des vues qui nous sont inconnues, Dieu a permis que le corps fût roi ou que l’âme fût reine ; mais il n’en est pas moins vrai que le souffle qui anime le mendiant est aussi pur que celui qui fait mourir le roi. Voilà le dogme que vous devez prêcher, vous, apôtre de l’égalité. Prouvez l’égalité des deux essences spirituelles, puisque cette égalité, vous pouvez l’établir à l’aide de tout ce qu’il y a de sacré au monde : les livres saints et les traditions, la science et la foi. Que vous importe l’égalité de deux matières, avec l’égalité des corps, vous ne volez pas devant Dieu. Tout à l’heure, ce pauvre blessé, cet ignorant enfant du peuple vous a dit, touchant son mal, des choses que nul parmi les médecins n’eût osé dire. Pourquoi cela ? C’est que son âme, dégagée momentanément des liens du corps, a plané au-dessus de la