Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/185

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— Oh ! oui, c’est magnifique, n’est-ce pas ? dit-elle en le raillant… Vous vous extasiez ! Comment les auteurs ont-ils tant de vanité, tant de défauts, et nous en passent-ils si peu à nous autres pauvres fermes ? Que je m’avise de me regarder dans mon petit miroir, monsieur me gronde et m’appelle coquette.

Elle continua, sur ce ton, à le rendre le plus malheureux des hommes, comme si pour cela Rousseau n’eut pas été très richement doté par la nature.

Il but son lait sans tremper de pain.

Il ruminait.

— Bon ! vous réfléchissez, dit-elle ; vous allez encore faire quelque livre plein de vilaines choses…

Rousseau frémit.

— Vous rêvez, lui dit Thérèse, à vos femmes idéales, et vous écrirez des livres que les jeunes filles n’oseront pas lire, ou bien des profanations qui seront brûlées par la main du bourreau.

Le martyr frissonna. Thérèse touchait juste.

— Non, répliqua-t-il, je n’écrirai plus rien qui donne à mal penser… Je veux, au contraire, faire un livre que tous les honnêtes gens liront avec des transports de joie…

— Oh ! oh ! dit Thérèse en desservant la tasse, c’est impossible ; vous n’avez l’esprit plein que d’obscénités… L’autre jour encore, je vous entendais lire un passage de je ne sais quoi, et vous parliez des femmes que vous adorez… Vous êtes un satyre ! un mage !

Le mot mage était une des plus affreuses injures du vocabulaire de Thérèse. Ce mot faisait toujours frissonner Rousseau.

— Là, là, dit-il, ma bonne amie ; vous verrez que vous serez contente… Je veux écrire que j’ai trouvé un moyen de régénérer le monde sans amener, dans les changements qui s’y effectueront, la souffrance d’un seul individu. Oui, oui, je vais mûrir ce projet. Pas de révolutions ! grand Dieu ! ma bonne Thérèse, pas de révolutions !

— Allons, nous verrons, dit la ménagère. Tiens ! on sonne.