Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/204

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l’eut vue, selon son habitude de s’absorber dans une seule contemplation, il ne vit plus son compagnon.

Le jeune homme au cordon bleu n’était autre que M. le comte d’Artois, qui folâtrait du plus joyeux de son cœur avec la maîtresse de son grand-père.

Madame du Barry, en apercevant cette noire figure de Rousseau, se mit à crier :

— Ah ! mon Dieu !

— Eh quoi ! fit le comte d’Artois, regardant à son tour le philosophe.

Et déjà il étendait la main pour faire doucement passage à sa compagne.

— M. Rousseau ! s’écria madame du Barry.

— Rousseau de Genève ? dit le comte d’Artois, du ton d’un écolier en vacances.

— Oui, Monseigneur, répliqua la comtesse.

— Ah ! bonjour, monsieur Rousseau, dit l’espiègle en voyant que Rousseau venait de pousser une pointe désespérée pour forcer le passage ; bonjour… Nous allons entendre de votre musique.

— Monseigneur…, balbutia Rousseau, qui aperçut le cordon bleu.

— Ah ! de la bien charmante musique, dit la comtesse, bien conforme à l’esprit et au cœur de son auteur !

Rousseau releva la tête et vint brûler son regard au regard de feu de la comtesse.

— Madame…, dit-il de mauvaise humeur.

— Je jouerai Colin, madame, s’écria le comte d’Artois, et je vous prie, madame la comtesse, de jouer Colette.

— De tout mon cœur, Monseigneur ; mais je n’oserai jamais, moi qui ne suis pas artiste, profaner la musique du maître.

Rousseau eût donné sa vie pour oser regarder encore ; mais la voix, mais le ton, mais la flatterie, mais la beauté avaient chacun déposé un hameçon dans son cœur.

Il voulut fuir.