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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/211

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Le spectacle, nécessairement pour la jalouse, c’était Andrée ; ce qui n’empêcha point madame la dauphine de recueillir force compliments et de se montrer d’une gaieté charmante.

M. le duc de Richelieu papillonnait autour d’elle avec la légèreté d’un jeune homme, et il avait réussi à former dans le fond du théâtre un cercle de rieurs, dont la dauphine était le centre, et qui inquiétait furieusement le parti Dubarry.

— Il paraît, dit-il tout haut, que mademoiselle de Taverney a une jolie voix.

— Charmante, dit la dauphine ; et, sans mon égoïsme, je l’eusse fait jouer Colette ; mais, comme c’est pour m’amuser que j’ai pris ce rôle, je ne le laisse à personne.

— Ah ! mademoiselle de Taverney ne le chanterait pas mieux que Votre Altesse royale, dit Richelieu, et…

— Mademoiselle est excellente musicienne, dit Rousseau profondément pénétré.

— Excellente, dit la dauphine ; et, s’il faut que je l’avoue, c’est elle qui m’apprend mon rôle ; et puis elle danse à ravir, et moi je danse fort mal.

On peut juger de l’effet de ces conversations sur le roi, sur madame Dubarry, et sur tout ce peuple de curieux, de nouvellistes, d’intrigants et d’envieux ; chacun récoltait un plaisir en faisant une blessure, ou recevait le coup avec honte et douleur. Il n’y avait pas d’indifférents, sauf peut-être Andrée elle-même.

La dauphine, aiguillonnée par Richelieu, finit par faire chanter à Andrée la romance :

J’ai perdu mon serviteur,
Colin me délaisse.

On vit le roi laisser aller sa tête en cadence avec des mouvements si vifs de plaisir, que tout le rouge de madame Dubarry tombait en petites écailles, comme fait la peinture à l’humidité.

Richelieu, plus méchant qu’une femme, savoura sa vengeance. Il s’était rapproché de Taverney le père, et ces deux