Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/235

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doute ; elle est parfaite, à mes yeux du moins, et je la regarde comme une divinité. Mais c’est surtout parce que je la range dans cette sphère surhumaine, que j’ai pour elle du respect et non de l’affection. Or, l’affection, Philippe, c’est ce sentiment si nécessaire à mon cœur, qui, toujours refoulé dans mon cœur, le brise. — Mon père… Eh ! mon Dieu, mon père ! je ne vous apprends rien de nouveau, Philippe : non seulement mon père n’est pas pour moi un protecteur ou un ami, mais encore mon père ne me regarde jamais sans me faire peur. Oui, oui, j’ai peur, Philippe, peur de lui, surtout depuis que je vous vois partir. Peur de quoi ? Je n’en sais rien. Eh ! mon Dieu, les oiseaux qui fuient, les troupeaux qui mugissent n’ont-ils pas, eux aussi, peur de l’orage, quand l’orage va venir ?

« C’est de l’instinct, direz-vous ; mais pourquoi refuseriez-vous à notre âme immortelle l’instinct du malheur ? Tout, depuis quelque temps, réussit à notre famille, je le sais bien : vous voilà capitaine, vous ; moi, me voilà placée presque dans l’intimité de la dauphine ; mon père a soupé hier, dit-on, presque en tête-à-tête avec le roi. Eh bien ! Philippe, je le répète, dussé-je vous paraître insensée, tout cela m’effraie plus que notre douce misère et notre obscurité de Taverney.

— Et cependant, là-bas, chère sœur, dit tristement Philippe, vous étiez seule aussi ; là-bas non plus je n’étais pas avec vous pour voua consoler.

— Oui, mais au moins j’étais seule, seule avec mes souvenirs d’enfance : il me semblait que cette maison, où avait vécu, où avait respiré, où était morte ma mère, me devait la protection natale, si l’on peut s’exprimer ainsi ; tout m’y était doux, caressant, ami. Je vous voyais partir avec calme et revenir avec joie. Mais que vous partissiez ou revinssiez, mon cœur n’était pas tout à vous, il tenait à cette chère maison, à mes jardins, à mes fleurs, à cet ensemble dont autrefois vous n’étiez qu’une partie ; aujourd’hui vous êtes le tout, Philippe ; et quand vous me quittez, tout me quitte.

— Et cependant, Andrée, dit Philippe, aujourd’hui vous avez une protection bien autrement puissante que la mienne.