Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/300

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Gilbert, réduit à quatre livres dix sous, déchira cette page qu’il garda précieusement, et vendit l’ouvrage à un libraire, qui en donna trois livres.

Ce fut ainsi que le jeune homme put arriver trois autres jours après en vue du Havre, et qu’il aperçut la mer au coucher du soleil.

Ses souliers étaient dans un état peu convenable pour un jeune monsieur qui mettait coquettement le jour des bas de soie pour traverser les villes ; mais Gilbert eut encore une idée. Il vendit ses bas de soie, ou plutôt les troqua pour une paire de souliers irréprochables quant à la solidité. Pour l’élégance, nous n’en parlerons pas.

Cette dernière nuit, il la passa dans Harfleur, logé, nourri pour seize sous. Il mangea là des huîtres pour la première fois de sa vie.

— Un mets des riches, se dit-il, pour le plus pauvre des hommes ; tant il est vrai que Dieu n’a jamais fait que le bien, tandis que les hommes ont fait le mal, selon la maxime de Rousseau.

À dix heures du matin, le 13 décembre, Gilbert entra dans le Havre, et, du premier abord, aperçut l’Adonis, beau brick de trois cents tonneaux qui se balançait dans le bassin.

Le port était désert.

Gilbert s’y aventura par le moyen d’une passerelle.

Un mousse s’approcha de lui pour l’interroger.

— Le capitaine ? demanda Gilbert.

Le mousse fit un signe dans l’entrepont, et bientôt après une voix partie d’en bas cria :

— Faites descendre.

Gilbert descendit. On le mena dans une petite chambre toute construite en bois d’acajou et meublée avec la plus sobre simplicité.

Un homme de trente ans, pâle, nerveux, l’œil vif et inquiet, lisait une gazette sur une table d’acajou comme les cloisons.

— Que veut monsieur ? dit-il à Gilbert.

Gilbert fit signe à cet homme d’éloigner son mousse, et le mousse partit en effet.