Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/127

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— Excusez-moi si je vous fais une question, dit-il.

— Faites.

— Pourquoi dites-vous que vous n’aimez plus voir cela ? J’aurais dit, moi, je n’aime pas.

— Voici l’histoire, citoyen. Dans le commencement, on guillotinait des aristocrates très méchants, à ce qu’il paraît. Ces gens-là portaient la tête si droite, ils avaient tous l’air si insolent, si provocateur, que la pitié ne venait pas facilement mouiller nos yeux. On regardait donc volontiers. C’était un beau spectacle que cette lutte des courageux ennemis de la nation contre la mort. Mais voilà qu’un jour j’ai vu monter sur la charrette un vieillard dont la tête battait les ridelles de la voiture. C’était douloureux. Le lendemain je vis des religieuses. Un autre jour je vis un enfant de quatorze ans, et enfin je vis une jeune fille dans une charrette, sa mère était dans l’autre, et ces deux pauvres femmes s’envoyaient des baisers sans dire une parole. Elles étaient si pâles, elles avaient le regard si sombre, un si fatal sourire aux lèvres, ces doigts qui remuaient seuls pour pétrir le baiser sur leur bouche étaient si tremblants et si nacrés, que jamais je n’oublierai cet horrible spectacle, et que j’ai juré de ne plus m’exposer à le voir jamais.

— Ah ! ah ! dit Hoffmann en s’éloignant de la fenêtre, c’est comme cela ?

— Oui, citoyen. Eh bien ! que faites-vous ?

— Je ferme la fenêtre.

— Pour quoi faire ?

— Pour ne pas voir.

— Vous ! un homme.