Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/155

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de la place de la Révolution, et que tantôt il croyait voir madame Du Barry, pâle et la tête tranchée, danser à la place d’Arsène, et tantôt Arsène arriver en dansant jusqu’au pied de la guillotine et jusqu’aux mains du bourreau.

Il se faisait dans l’imagination exaltée du jeune homme un mélange de fleurs et de sang, de danse et d’agonie, de vie et de mort.

Mais ce qui dominait tout cela, c’était l’attraction électrique qui le poussait vers cette femme. Chaque fois que ces deux jambes fines passaient devant ses yeux, chaque fois que cette jupe transparente se soulevait un peu plus, un frémissement parcourait tout son être, sa lèvre devenait sèche, son haleine brûlante, et le désir entrait en lui comme il entre dans un homme de vingt ans.

Dans cet état, Hoffmann n’avait plus qu’un refuge, c’était le portrait d’Antonia, c’était le médaillon qu’il portait sur sa poitrine, c’était l’amour pur à opposer à l’amour sensuel ; c’était la force du chaste souvenir à mettre en face de l’exigeante réalité.

Il saisit ce portrait et le porta à ses lèvres : mais, à peine avait-il fait ce mouvement, qu’il entendit le ricanement aigu de son voisin qui le regardait d’un air railleur.

— Laissez-moi sortir, s’écria-t-il, laissez-moi sortir ; je ne saurais rester plus longtemps ici !

Et, semblable à un fou, il quitta l’orchestre, marchant sur les pieds, heurtant les jambes des tranquilles spectateurs, qui maugréaient contre cet original à qui il prenait ainsi fantaisie de sortir au milieu d’un ballet.