Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/26

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de libraires, et des boutiques de libraires dans les magasins de relieurs.

C’est que Nodier se connaissait non-seulement en livres, mais en couvertures. Les chefs-d’œuvre de Gaseon sous Louis XIII, de Desseuil sous Louis XIV, de Pasdeloup sous Louis XV et de Derome sous Louis XV et Louis XVI, lui étaient si familiers, que, les yeux fermés, au simple toucher, il les reconnaissait. C’était Nodier qui avait fait revivre la reliure, qui, sous la Révolution et l’Empire, cessa d’être un art ; c’est lui qui encouragea, qui dirigea les restaurateurs de cet art, les Thouvenin, les Bradel, les Niedrée, les Bozonnet et les Legrand. Thouvenin, mourant de la poitrine, se levait de son lit d’agonie pour jeter un dernier coup d’œil aux reliures qu’il faisait pour Nodier.

La course de Nodier aboutissait presque toujours chez Crozot ou Techener, ces deux beaux-frères désunis par la rivalité, et entre lesquels son placide génie venait s’interposer. Là, il y avait réunion de bibliophiles ; là, on s’assemblait pour parler livres, éditions, ventes ; là, on faisait des échanges ; puis, dès que Nodier paraissait, c’était un cri ; mais, dès qu’il ouvrait la bouche, silence absolu. Alors Nodier narrait, Nodier paradoxait de omni re scibili et quibusdam aliis.

Le soir, après le dîner de famille, Nodier travaillait d’ordinaire dans la salle à manger, entre trois bougies posées en triangle, jamais plus, jamais moins ; nous avons dit sur quel papier et de quelle écriture, toujours avec des plumes d’oie ; Nodier avait horreur des plumes de fer, comme, en général, de toutes les inventions nouvelles ; le gaz le mettait en fureur, la vapeur l’exaspérait ; il voyait la fin du