Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/58

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C’était un jeune homme de dix-huit ans tout au plus, petit de taille, maigre de corps, sauvage d’aspect. Ses longs cheveux noirs tombaient de son front jusqu’au-dessous de ses yeux, qu’ils voilaient quand il ne les écartait pas de la main, et, à travers le voile de ses cheveux, son regard brillait fixe et fauve, comme le regard d’un homme dont les facultés mentales ne doivent pas toujours demeurer dans un parfait équilibre.

Ce jeune homme, ce n’était ni un poëte, ni un peintre, ni un musicien : c’était un composé de tout cela ; c’était la peinture, la musique et la poésie réunies ; c’était un tout bizarre, fantasque, bon et mauvais, brave et timide, actif et paresseux : ce jeune homme, enfin, c’était Ernest-Théodore-Guillaume Hoffmann.

Il était né par une rigoureuse nuit d’hiver, en 1776, tandis que le vent sifflait, tandis que la neige tombait, tandis que tout ce qui n’est pas riche souffrait : il était né à Kœnigsberg, au fond de la Vieille-Prusse ; né si faible, si grêle, si pauvrement bâti, que l’exiguïté de sa personne fit croire à tout le monde qu’il était bien plus pressant de lui commander une tombe que de lui acheter un berceau ; il était né la même année où Schiller, écrivant son drame des Brigands, signait Schiller, esclave de Klopstock ; né au milieu d’une de ces vieilles familles bourgeoises comme nous en avions en France du temps de la Fronde, comme il y en a encore en Allemagne, mais comme il n’y en aura bientôt plus nulle part ; né d’une mère au tempérament maladif, mais d’une résignation profonde, ce qui donnait à toute sa personne souffrante l’aspect d’une adorable mélancolie ; né d’un père à la démarche et à l’esprit sévères,