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Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/73

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l’Europe tulipière, Boxtel aiguisa la haine par la ruse et résolut d’employer un moyen qui ne le compromît pas.

Il chercha longtemps, c’est vrai, mais enfin il trouva.

Un soir il attacha deux chats chacun par une patte de derrière, avec une ficelle de dix pieds de long, et les jeta, du haut du mur, au milieu de la plate-bande maîtresse, de la plate-bande princière, de la plate-bande royale, qui non seulement contenait la Corneille de Witt, mais encore la Brabançonne, blanc de lait, pourpre et rouge ; la Marbrée, de Rotre, gris de lin mouvant, rouge et incarnadin éclatant ; et la Merveille, de Harlem ; la tulipe Colombin obscur et Colombin clair terni.

Les animaux effarés, en tombant du haut en bas du mur, se ruèrent d’abord sur la plate-bande, essayant de fuir chacun de son côté, jusqu’à ce que le fil qui les retenait l’un à l’autre fût tendu ; mais alors, sentant l’impossibilité d’aller plus loin, ils vaguèrent çà et là avec d’affreux miaulements, fauchant avec leur corde les fleurs au milieu desquelles ils se débattaient ; puis enfin, après un quart d’heure de lutte acharnée, étant parvenus à rompre le fil qui les enchevêtrait, ils disparurent.

Boxtel, caché derrière son sycomore, ne voyait rien, à cause de l’obscurité de la nuit ; mais aux cris enragés des deux chats, il supposait tout, et son cœur, dégonflant de fiel, s’emplissait de joie.

Le désir de s’assurer du dégât commis était si grand dans le cœur de Boxtel, qu’il resta jusqu’au jour pour jouir par ses yeux de l’état où la lutte des deux matous avait mis les plates-bandes de son voisin.

Il était glacé par le brouillard du matin ; mais il ne