Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/10

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Strozzi, inhabile à la servitude, se retira à Venise, où bientôt il apprit que le bâtard de Laurent l’avait mis au ban de l’État. L’accueil qu’il fit à Lorenzino avait donc un double motif : non-seulement Lorenzino venait de délivrer Florence de son oppresseur, mais encore il rouvrait au proscrit (du moins il le croyait ainsi) le chemin de sa patrie. Mais pendant que les bannis joyeux se réunissaient et discutaient le moyen le plus prompt et le plus sûr de rentrer dans Florence, ils apprirent que Cosme avait été nommé chef et gouverneur de la république, et qu’une des quatre conditions auxquelles il avait été élu était de venger la mort d’Alexandre. Ils comprirent dès lors que leur rentrée dans la patrie ne serait pas aussi facile qu’ils l’avaient espéré ; cependant, songeant que le nouveau gouverneur n’avait que dix-huit ans, ils espérèrent tout de l’ignorance et de la légèreté que semblait annoncer son âge. Mais l’enfant joua les barbes grises au jeu de la politique et au jeu de la guerre. Toutes les conspirations furent découvertes et déjouées, et comme enfin les proscrits s’étaient réunis et avaient décidé de risquer une bataille, après onze ans d’attente et de tentatives infructueuses, Alexandre Vitelli, lieutenant de Cosme, remporta sur eux, à Montemurlo, une victoire complète. Pierre Strozzi n’échappa à la mort qu’en se couchant parmi les cadavres, et Philippe, pris sur le champ de bataille qu’il ne voulut point abandonner, fut ramené à Florence et enfermé dans la citadelle.

Par un étrange jeu de fortune, cette citadelle était la même que, dans une discussion secrète tenue devant le pape Clément VII, Philippe Strozzi avait conseillé à ce pontife de faire bâtir, et cela contre l’avis du cardinal Jacopo Salviati. Ce dernier, surpris de cette obstination singulière, qui semblait avoir un caractère providentiel et fatal, ne put s’empêcher de dire à Philippe : « Plaise à Dieu, Strozzi, qu’en faisant bâtir cette forteresse tu ne fasses pas bâtir ton tombeau ! » Aussi, à peine Strozzi fut-il enfermé entre ces murs qui étaient sortis de terre à sa voix, que la prophétie de Salviati lui revint en mémoire, et qu’à compter de ce moment il regarda le terme de sa vie comme arrivé.

Mais à cette époque on ne mourait pas ainsi ; il fallait avant tout passer par la torture. Philippe Strozzi, à qui on