Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/201

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tout en commandant des statues à Michel-Ange, tout en donnant des fêtes à Platon, Laurent le Magnifique avait fait ou laissé faire une foule de petites choses qui ne laissaient pas que de lui charger la conscience, si bien qu’au moment de mourir, il pensa à un saint homme qu’il avait fort oublié pendant sa vie, ou auquel il n’avait pensé que pour en rire avec les esprits forts qui l’entouraient. Cet homme était le dominicain Jérôme Savonarole.

Or, Laurent hésita longtemps à l’envoyer chercher, car, à cet homme surtout, il lui coûtait de se confesser. Nos lecteurs le connaissent déjà : c’était, politiquement, un républicain sévère, qui eût voulu ramener Florence aux mœurs du douzième siècle ; c’était, religieusement, un moine ascétique qui, passant sa vie dans le jeûne et dans la prière, ne promettait pas d’être plus tendre pour les autres qu’il ne l’était pour lui-même. Du fond de son cloître il avait suivi Laurent dans la double corruption artistique et sociale qu’il avait exercée sur Florence, et du fond de son génie il voyait dans l’avenir l’Italie conquise et Florence asservie. Voilà l’homme qu’au moment de mourir envoyait chercher Laurent.

Le moine arriva grave et sombre, car il pensait bien qu’il allait se passer entre lui et Laurent une de ces scènes d’où dépendent non-seulement la perte ou le salut d’une âme, mais encore l’esclavage ou la liberté d’une nation. Laurent tressaillit au bruit de ses sandales, puis fit passer dans l’appartement à côté du sien, c’est-à-dire dans la chambre où était mort son père Cosme le Vieux, Politien et Pic de la Mirandole, qui causaient au chevet de son lit. À peine furent-ils sortis par une porte, que l’autre porte s’ouvrit et que le moine entra.

Savonarole s’approcha du lit du moribond, fixant sur lui son regard perçant ; et dans ce regard, Laurent lut comme dans un livre tout ce qui se passait dans le cœur du moine.

— Mon père, dit-il, je vous ai envoyé chercher, ayant été touché de la grâce du Seigneur, et ne voulant recevoir l’absolution que de vous.

— Je ne suis qu’un pauvre moine, répondit Savonarole, mais c’est à un plus pauvre que moi encore que le Seigneur