Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/203

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la chambre du moribond, ils le trouvèrent tenant entre ses bras un Christ richement sculpté qu’il venait d’arracher de la muraille, et dont il baisait les pieds avec les étreintes puissantes de l’agonie.

Deux heures après, Laurent était mort, sans qu’il eût fait autre chose que de prier, depuis le moment où Savonarole l’avait quitté, jusqu’au moment où il avait rendu le dernier soupir.

Un assassinat singulier suivit cette mort. Nous avons dit que Laurent avait pour médecin un certain Leoni de Spolète. À peine le bruit que Laurent venait d’expirer se fut-il répandu, que le médecin, craignant qu’on ne lui fit quelque mauvais parti, essaya de s’enfuir ; mais déjà de terribles soupçons s’étaient répandus sur lui, et sur un mot de Pierre de Médicis, fils de Laurent, les serviteurs du Magnifique se jetèrent sur ce malheureux et le précipitèrent dans un puits.

La mort de Laurent fut un signal de deuil pour toute l’Italie. Machiavel, qu’on n’accusera pas d’enthousiasme pour les puissans de ce monde, la regarde comme le signal des malheurs qui devaient fondre non-seulement sur Florence, mais sur la Péninsule toute entière, et, comme Virgile au temps de César, raconte les prodiges qui l’accompagnèrent.

Un de ces prodiges, le plus miraculeux de tous, est sans contredit celui que nous allons dire, et qui est constaté par le récit des témoins oculaires, et par une date antérieure aux événemens qu’il prédisait.

Laurent avait pour familier de sa maison un certain Cardiere, musicien et improvisateur, qu’il faisait ordinairement venir le soir quand il était couché, et qui le distrayait en chantant sur son luth. Cet homme avait ses entrées à toute heure près du Magnifique ; mais depuis que la maladie de Laurent avait pris un caractère sérieux, on avait éloigné de lui cet homme que l’on regardait comme un bouffon. La nuit qui suivit la mort de Laurent, Cardiere était couché, lorsqu’il entendit ouvrir la porte de sa chambre, qu’il vit venir à lui un spectre qu’il reconnut pour celui de Laurent ; il était vêtu de noir, avait le visage triste et un manteau déchiré. Cardiere, frappé de terreur, ouvrit la bouche pour appeler ; mais le spectre lui fit signe de se taire, et d’une