Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/204

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voix lente et sourde, que cependant le musicien reconnut bien pour être celle de son maître, il lui ordonna d’aller prévenir Pierre, son fils, que de grands malheurs le menaçaient lui et sa famille, et qu’entr’autres malheurs il devait se préparer à un prochain exil ; puis, cette recommandation achevée, le spectre s’évanouit sans que Cardiere pût voir par où il avait disparu.

Le pauvre improvisateur se trouvait dans une singulière position ; il connaissait Pierre pour un jeune homme d’un caractère brutal et emporté qui, s’il prenait mal l’avis, pouvait l’envoyer rejoindre Leoni de Spolète. Or, ayant tout bien pesé, et ayant reconnu qu’il avait encore plus peur du vivant que du mort, du moins il résolut, jusqu’à nouvel ordre, de garder l’avis pour lui seul. D’ailleurs, au bout de quelques jours, en y mettant de la bonne volonté, Cardiere était parvenu à se faire accroire à lui-même qu’il avait été dupe de quelque erreur des sens, et que la prétendue apparition n’avait jamais existé que dans son esprit.

Mais Cardiere ne devait pas en être quitte ainsi : une nuit, sa porte s’ouvrit de nouveau, le même spectre s’avança de son pas muet, puis de la même voix lente et sombre, mais avec le feu de la colère dans les yeux, il lui répéta la même prédiction et lui renouvela le même ordre. Mais cette fois, et pour que l’improvisateur ne prît pas ce qu’il voyait pour un jeu de son imagination, le spectre ajouta à la recommandation un vigoureux soufflet ; après quoi, comme la première fois, le spectre sembla se dissoudre et disparut en fumée.

Cette fois, Cardiere résolut de ne plus plaisanter avec son ancien patron : il passa la nuit en prières, et, le jour venu, il courut chez Michel-Ange Buonarotti, qui était encore à cette époque un jeune homme de dix-sept ans ; et, comme il savait que Laurent avait en une grande amitié pour lui, et que lui, de son côté, conservait une grande reconnaissance à Laurent, il lui raconta ce qui s’était passé. Michel-Ange lui donna le conseil d’aller tout dire à Pierre de Médicis.

Cardiere était à Florence ; il sortit aussitôt de la ville et prit la route de la villa Careggi. À moitié chemin, il vit venir une troupe de cavaliers, se composant de belles dames et de jeunes seigneurs, au milieu desquels il reconnut Pierre