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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/209

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Cajano, qu’il mena à bien comme on peut voir. Plus tard, et après la mort de Laurent, Léon X fit exécuter dans ce salon les magnifiques fresques du Franciabigio, du Portormo, et d’André del Sarto, qu’on va y admirer encore aujourd’hui, et qui n’ont d’autre tort que de représenter des allégories ou des sujets d’un intérêt fort médiocre.

À peine Poggio a Cajano fut-il bâti que Laurent le Magnifique s’y rendit avec toute sa cour de poëtes, de docteurs et de philosophes, et se livra plus que jamais à ses réunions académiques et à ses discussions platoniciennes. Bientôt même un sujet se présenta à Laurent d’exercer toute sa verve poético-mythologique. Un de ces filets d’eau qu’on décore du nom de fleuves en Italie, et qui, après avoir été du gravier humide l’été, deviennent des torrens fangeux l’hiver, traversait les jardins de Poggio a Cajano. Au milieu de son cours s’élevait une charmante petite île, fort embellie par les soins de Laurent, dans laquelle, aux mois d’octobre, novembre et décembre, on se rendait en bateau, et qu’en juin, juillet et août on gagnait tranquillement à pied sec. Enfin, quels qu’ils fussent, le fleuve et l’île avaient reçu chacun un nom des plus harmonieux : le fleuve s’appelait Ombrone, l’île s’appellait Ambra.

Un matin, on ne retrouva plus l’île. Il avait beaucoup plu pendant la nuit, l’Ombrone avait grossi, et, en grossissant, il avait emporté on ne sait où la pauvre Ambra. On la chercha longtemps, on ne la retrouva jamais, et oncques depuis elle ne reparut.

C’était là, comme on le voit, un charmant sujet de bucolique ; aussi l’Arcadien Laurent ne le laissa-t-il point échapper. L’île fut transformée en nymphe bocagère, l’Ombrone en satyre lascif ; trente vers furent consacrés à l’exposition, cinquante vers à la lutte de la Pudeur contre la Luxure, dix vers à une invocation à Diane, vingt vers à la métamorphose de la pauvre Ambra en rocher, quatre vers aux remords du fleuve ravisseur ; et l’Italie, comme on dit en style de la Crusca, s’enorgueillit d’un poëme de plus.

Laurent mourut, nous avons dit comment : selon toute probabilité, du fait de son fils Pierre, qui était pressé de se faire chasser de Florence, comme un drôle qu’il était. Pog-