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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/223

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juste vingt-sept ans de cela. J’étais bien enfant. Je le vis passer ; c’était le 12 juin 1815, à quatre heures et demie du soir. Il était vêtu de son habit vert des chasseurs de la garde ; portait la croix d’officier, la plaque de la Légion d’honneur et la croix de la Couronne de fer.

Je n’oublierai de ma vie cette noble figure faite pour la médaille, belle comme ces têtes d’Alexandre et d’Auguste que l’antiquité nous a transmises, et que la fatigue inclinait sur sa poitrine. Le maître de poste ouvrit la portière de la voiture pour demander à l’empereur s’il n’avait pas d’ordres à lui donner. Le regard vague et perdu de Napoléon se concentra et se fixa à l’instant même sur lui.

— Où sommes-nous ? demanda l’empereur.

— À Villers-Cotterets, Sire.

— À six lieues de Soissons, n’est-ce pas ? Puis, sans donner à son interlocuteur le temps de répondre : Il y a ici, continua-t-il, un château bâti par François Ier ; on pourrait en faire une caserne.

— Sire, ce serait un grand bonheur pour la ville, qui préférerait cela au dépôt de mendicité qui s’y trouve.

— Puis une grande forêt, continua l’empereur ; une forêt à cheval sur la route de Laon. Merci, monsieur le maître de poste ; sommes-nous prêts ?

— Oui, sire.

— Partons.

Et cette tête qui savait tout et qui n’oubliait rien retomba sur sa poitrine, fatiguée du monde d’idées qu’elle portait.

La voiture repartit à l’instant même au galop de ses chevaux.

À la gauche de l’empereur était le prince Jérôme, devant lui était le général Bertrand.

Quoique ma principale attention eût été absorbée par l’empereur, la figure de son frère m’avait tellement frappé aussi, que lorsque je le revis, vingt-cinq ans après, je le reconnus.

C’était en 1815 un beau jeune homme de trente et un ans, à la barbe et aux cheveux noirs, au visage doux et souriant, et qui paraissait plus fier à cette heure de son uniforme de