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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/224

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général de division qu’il ne l’avait jamais été de son manteau royal.

À Avesnes, le prince Jérôme quitta l’empereur et prit le commandement de sa division : il avait sous ses ordres le colonel Cubières, qui venait de se marier depuis deux jours, et devait marcher avec Ney sur les Quatre-Bras, tandis que l’empereur marchait sur Fleurus.

Le 15 au soir, le prince soupait avec le général Cubières, le général Girard et deux ou trois autres généraux de brigade, lorsqu’un aide de camp de Napoléon entra : il apportait l’ordre à Girard et à sa division de marcher sur Fleurus, afin de faire sa jonction avec l’empereur.

Le général Girard, qui était un des plus braves soldats de Farmée, et qui avait été fort gai jusque-là, pâlit tellement en recevant cet ordre, que le prince se retourna vers lui en lui demandant s’il se trouvait mal.

— Non, monseigneur, dit le général Girard en portant sa main à son front ; mais il vient de me passer là un singulier pressentiment. Je serai tué demain.

— Allons donc ! dit le prince Jérôme en riant, est-ce que tu deviens fou, mon vieux camarade ?

— Non, monseigneur ; mais n’avez-vous jamais entendu dire qu’il y ait des hommes qui aient reçu d’avance l’avis de leur mort ?

— Combien as-tu de blessures, Girard ? demanda le prince.

— Vingt-sept on vingt-huit, monseigneur ; je n’en sais pas bien le compte. Je suis troué comme une écumoire.

— Eh bien ! quand on a reçu vingt-huit blessures au service de la France, on est immortel. Au revoir, Girard.

— Adieu, monseigneur.

— Au revoir.

— Non, non, adieu.

Girard sortit de la chambre. Tous ces hommes de guerre, habitués à voir la mort chaque jour, se regardèrent en souriant ; cependant, quoiqu’aucun d’eux ne crût au prétendu pressentiment de celui qui les quittait, une impression triste pesait sur eux.