Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/230

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— Y a-t-il un homme, dit-il, qui se charge de me conduire où est Grouchy ?

Dix officiers se présentèrent. Un d’eux prit la bride de son cheval pour le tirer de cette affreuse mêlée ; mais l’empereur fit signe qu’il avait encore quelques paroles à dire. Alors, se retournant vers le prince Jérôme :

— Mon frère, lui dit-il, je vous laisse le commandement de l’armée ; ralliez-la et attendez-moi sous les murs de Laon.

Puis lui tendant la main :

— Je suis fâché, ajouta-t-il, de vous avoir connu si tard. Une nouvelle combinaison, qui pouvait encore changer la face des choses, venait de germer dans cette puissante tête. Napoléon voulait rejoindre Grouchy et ses trente-cinq mille hommes de troupes fraîches ; puis, tandis que Jérôme ferait face avec l’armée ralliée aux Anglais et aux Prussiens fatigués, tomber sur leurs derrières avec ce corps d’armée, et prendre ainsi au cœur de la France Wellington et Blücher entre deux feux.

Qui empêcha ce nouveau plan de s’accomplir ? Nul ne le sait ; c’est un secret entre le prisonnier de Sainte-Hélène et Dieu. Ne put-il pas, au milieu de ce désordre, trouer ces masses prussiennes qu’il fallait franchir ? fut-il égaré par son guide, ou bien la force lui manqua-t-elle pour son gigantesque projet ?

J’étais à cette même poste où Napoléon était passé huit jours auparavant, et où nous attendions des nouvelles de l’armée, lorsqu’on entendit le bruit du galop d’un cheval : c’était un courrier qui passait ventre à terre, et qui cria en passant :

— Six chevaux pour l’empereur !

Puis le courrier disparut.

Un instant après, le roulement sourd et lointain d’une voiture se fit entendre ; mais cette voiture approchait si rapidement, qu’il n’y eut pas un instant de doute sur celui qu’elle ramenait ; quand elle arriva à la porte de la poste, les chevaux étaient prêts. Tout le monde se précipita dehors : c’était l’empereur.