— C’est, ma foi ! mon compte, dit Zaionczek.
— Oui, tu as raison… et cependant ce serait malheureux. Trente ans encore à vivre, vingt champs de bataille à traverser, une vice-royauté à atteindre ; oui, tout cela peut, comme tu le dis, être détruit par une balle qui dévie, par un boulet qui se trompe. Oui, tu as raison, oui, je vois le danger ; il existe, il menace. Mais… mais, écoute : ta destinée est une de ces destinées qui importent, non-seulement à une famille, mais à un peuple. As-tu confiance, Zaionczek ?
— En quoi ? dit le général.
— En ce que je te dis.
Le Polonais sourit.
— Pour le passé, tu m’as assez bien dit la vérité ; mais mon passé appartient à l’Europe et n’est pas difficile à connaître. Cependant, s’il faut croire, eh bien ! je croirai.
— Crois, Zaionczek, dit le prophète ; il croit bien, lui. Et il étendit la main vers la maison qu’habitait Bonaparte.
— Eh bien ! que faut-il croire ?
— il faut croire à mes paroles. Comme je te l’ai dit, il y a un jour, une heure, un moment qui menace ta glorieuse vie ; ce moment passé, tu n’as rien à craindre ; mais ce moment, je ne puis te dire quand il viendra.
— Alors, dit Zaionczek, ton avis, tu en conviendras, ne m’est point d’un grand secours.
— Si fait, car je puis te préserver de ce danger.
— Et comment cela ?
— Tu vas le voir.
Le petit Homme Rouge fit signe à un tambour d’apporter sa caisse et de la déposer à terre ; puis il s’agenouilla devant le sonore instrument, et il tira de sa ceinture un encrier, une plume et un bout de parchemin sur lequel il se mit à écrire, dans une langue inconnue, quelques mots à l’encre rouge.
— Tiens, dit alors le prophète en se relevant et en tendant à Zaionczek le précieux parchemin, voici le talisman que je t’ai promis, prends-le, porte-le toujours sur toi, ne le quitte dans aucune circonstance, et tu n’auras rien à craindre, ni des balles, ni des boulets.