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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/244

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donnée. Mais le brave jeune homme avait beau se jeter en insensé au milieu du danger, le danger lui faisait place ; il avait beau, étrange amant qu’il était, courtiser la mort, la mort ne voulait pas de lui.

Enfin l’on arriva devant Saint-Jean-d’Acre : trois assauts eurent lieu ; à chacun de ces assauts, Croisier, qui accompagnant le général en chef dans la tranchée, s’était exposé comme le dernier soldat ; mais on eût dit qu’il avait fait un pacte avec les boulets et les balles ; plus le jeune homme était désespéré, plus il semblait invulnérable.

À chaque fois Bonaparte le querellait sur sa témérité et le menaçait de le renvoyer en France.

Enfin arriva l’assaut du 10 mai. À cinq heures du matin le général en chef se rendit à la tranchée ; Croisier l’accompagnait.

C’était un assaut décisif ; ou le soir la ville serait prise, ou le lendemain on lèverait le siège. Croisier n’avait plus que cette dernière occasion de se faire tuer : il résolut de ne pas la perdre.

Alors, sans nécessité aucune, il monta sur une batterie, s’offrant tout entier au feu de l’ennemi.

Aussitôt Croisier devint le but de tous les coups ; la cible humaine n’était pas à quatre-vingts pas des murailles. Bonaparte le vit. Depuis le jour fatal où il s’était laissé emporter à sa colère, il avait bien vu que le jeune homme, trappé au cœur, ne demandait rien que de mourir. Ce désespoir du brave l’avait plus d’une fois touché profondément, et il avait souvent essayé par des paroles de louanges de faire oublier à son aide de camp les paroles de blâme qui lui étaient échappées. Mais, à chacun de ces retours, Croisier souriait amèrement et ne faisait aucune réponse.

Bonaparte, qui examinait quelques travaux en retard, se retourna et l’aperçut debout sur la batterie.

— Eh bien ! Croisier, s’écria-t-il, que faites-vous encore là ? Descendez, Croisier, je vous l’ordonne ! Croisier, ce n’est pas là votre place !

Et à ces mots, voyant que l’entêté jeune homme ne bougeait point, il s’avança pour le faire descendre de force.