Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/272

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nouiller devant ce catafalque, pour baiser ce cercueil, pour couper un morceau du velours qui le couvrait.

Une salve de coups de canon annonça l’arrivée des princes. Les canons comme les cloches sont les interprètes des grandes joies et des grandes douleurs humaines ; leur voix de bronze est la langue que se parlent, dans les circonstances qui les réunissent, la terre et le ciel, l’homme et Dieu.

Les princes entrèrent. Cette fois la sensation fut profonde et agit sur tout le monde. Le prince royal, c’était leur âme ; leur lumière à eux émanait de lui. Aussi étaient-ils brisés de douleur ; ils n’avaient pas songé qu’ils pouvaient deux fois perdre leur père.

La cérémonie fut longue, triste et solennelle. Quarante mille personnes entassées dans Notre-Dame faisaient un tel silence, qu’on entendait jusqu’à la moindre note de chant sacré, jusqu’au plus faible des frémissemens de l’orgue, au milieu desquels venait de temps en temps mugir un coup de canon. J’ai peu vu de spectacle qui puisse donner aussi puissamment l’idée du deuil d’une grande nation.

Puis vint l’absoute, c’est-à-dire la cérémonie touchante entre les cérémonies mortuaires. Les princes montèrent successivement, selon leur âge, jusqu’au cercueil fraternel, secouant l’eau bénite, et priant pour l’âme qui les avait tant aimés. Il y avait quelque chose de poignant dans ces ascensions successives et dans l’insistance de ces quatre jeunes gens, suppliant Dieu de recevoir dans son sein celui qu’ils avaient si souvent serré vivant dans leurs bras.

Je restai un des derniers, j’espérais pouvoir me rapprocher du cercueil : c’était impossible.

Tous ceux qui liront ces lignes ont probablement perdu une personne qui leur était chère ; mais si cette personne est morte lentement entre leurs bras, s’ils ont pu suivre sur son front les progrès de l’agonie, s’ils ont pu recueillir dans un dernier souffle l’âme qui, portée par ce souffle suprême, montait au ciel, il y a eu, certes, pour eux, douleur moins poignante que si, ayant quitté cette personne aimée, pleine de santé, de force et d’avenir, ils la retrouvent, au retour d’un long voyage, enfermée dans un cercueil que non-seulement ils ne peuvent ouvrir, mais dont ils ne peuvent pas