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Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/29

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parlait de nos soirées de l’Arsenal : « Madame, faites-moi le plaisir de me dire qui mène la conversation chez vous ? — Oh ! mon Dieu, répondit madame Nodier, personne ne la mène, ma chère amie ; elle va toute seule. » Cela étonna beaucoup la provinciale, qui croyait que la conversation, comme une fille honnête, a besoin d’être dirigée par une gouvernante.

Eh bien ! cette conversation insoucieuse, frivole, profonde, colorée, légère, poétique, Protée aux mille formes, fée insaisissable, ondine bondissante, qui naît d’un rien, s’attache à un caprice, s’élève par l’enthousiasme, retombe avec une plaisanterie, se prolonge par l’intimité, meurt par l’insouciance, se rallume à une étincelle, brille de nouveau comme un incendie, s’éteint tout à coup comme un météore pour renaître, sans que l’on sache pourquoi ni comment ; cette conversation, dont notre esprit altéré était plus avide que l’estomac le plus exigeant ne le sera jamais d’un bon dîner, nous la retrouvâmes chez le prince Corsini. Le prince se rappelait Paris, la duchesse de Casigliano le devinait ; quant à la princesse, elle est Russe, et l’on sait la difficulté que nous avons nous mêmes à distinguer une Russe d’une Française. On parla de tout et de rien, de bal, de politique, de jockey-club, de toilette, de poésie, de théâtre, de métaphysique, et on se leva de table après avoir, sans qu’aucun de nous pût dire de quoi il avait été question, échangé assez d’idées pour défrayer pendant une année une petite ville de province.

Le dîner avait duré jusqu’à quatre heures et demie ; à cinq heures avaient lieu les courses. Le prince Corsini avait mis à notre disposition le casino de son second fils, le marquis de Layatico, gouverneur de Livourne. Comme les courses partaient de la porte al Prato, les chevaux passaient justement sous ses fenêtres : nous ne quittions donc une hospitalité que pour en recevoir une autre.

Le casino du prince Corsini serait en France un palais. Nous entrâmes par la porte du milieu ; ce qui n’est pas un détail de mœurs indifférent, car la porte du milieu ne s’ouvre que pour le grand-duc, les archiducs et le prince Corsini. Ce jour-là il y avait double raison pour que la porte d’hon-