Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/35

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au crédit inépuisable de ses prêteurs, à la force renaissante de ses ouvriers, le palais miraculeux, dirigé par son sublime architecte, sortit de terre avec la rapidité d’une construction enchantée.

Mais un beau jour il arriva que cette opposition acharnée de Lucca Pitti parut se ralentir. Quand on se fait chef de parti, on ne s’appartient plus à soi-même ; on devient la chose, la propriété, l’instrument de son parti. De ce moment, si l’on n’a pas le génie de Cromwell ou la force de Napoléon, il faut faire abnégation de toute opinion personnelle, se laisser entraîner à la puissance supérieure qui se sert de vous comme d’un bélier, bat les murailles avec votre front, et renverse l’obstacle, ou vous brise contre lui. Lucca Pitti eut peur d’être brisé, et un beau jour le bruit se répandit qu’il avait trahi la république et pactisé avec le pouvoir qui voulait la renverser.

Dès lors Lucca Pitti fut perdu, les trésors qui l’avaient soutenu se fermèrent, les bras qui le servaient s’armèrent contre lui. On exigea de sa banque le remboursement immédiat de tout ce qu’on lui avait prêté, ses créanciers mirent dans leurs poursuites cette exigence haineuse qui caractérise les brouilles commerciales. Les rentrées manquèrent ; l’actif, quoique dépassant de beaucoup le passif, ne put lui faire face immédiatement. La fabrique aux trois quarts achevée s’interrompit. Le crédit de la maison, qui reposait sur deux siècles de loyauté, s’écroula, comme si cette base d’or eût été d’argile. Les successeurs de Lucca Pitti descendirent de la gêne à la misère ; enfin son petit-neveu Jean fut forcé de vendre ce palais, cause de la ruine de son ancêtre, à Cosme Ier, qui venait de monter sur le trône, et qui, l’ayant acheté avec toutes ses dépendances au prix de 9,000 florins d’or, c’est-à-dire de 400,000 francs à peu près de notre monnaie, le constitua en dot à Éléonore de Tolède sa femme.

De ce moment, le palais Pitti, abandonné depuis près de soixante ans, et qui semblait une ruine inachevée, commença de reprendre vie. Nicolo Braccini, surnommé le Tribolo, reprit l’œuvre que Brunelleschi, mort en 1446, avait laissée imparfaite : le jardin Boboli fut dessiné, on tira parti des accidens du terrain, des forêts s’élevèrent sur ses monta-